La conquête dune cuisinière II | Page 2

Eugène Chavette
Belgique... Vous le savez, le baron n'est pas causeur et il n'aime
pas les questions, continua le concierge.
Loin de remonter chez Ducanif, sa cuisinière regagna la rue et se remit
en route.

--Je sais où elles sont situées, tes fameuses terres, et je vais aller t'y
relancer, se disait-elle en activant le pas.
Il fallait qu'elle fût bien certaine de ne pas confondre l'un avec l'autre
deux personnages dont la position sociale était, pourtant, bien
différente, car elle se dirigea vers la rue de Turenne.
--Gustave et moi, nous avons voulu le jouer. A son tour, il a pris sa
revanche, se disait-elle.
Aux deux tiers de la rue de Turenne, elle s'engagea dans une ruelle à
droite et, cent mètres plus loin, pénétra dans cette même allée puante et
obscure de la masure où, quelques jours auparavant, était entré
Camuflet.
Comme la première fois, le portier, dans la sorte de niche qui lui servait
de loge, ressemelait de vieux souliers.
--Où allez-vous, ma belle fille? cria-t-il à Héloïse qui filait devant la
loge sans rien demander.
--Chez le Tombeur-des-Crânes.
--Alors il est inutile de vous mettre cinq étages dans les mollets. Vous
trouveriez là-haut visage de bois, ma charmante, affirma le savetier.
Héloïse crut à une consigne donnée et qu'il lui fallait forcer.
--Mais il m'attend! avança-t-elle.
--Alors, pas si tôt, car il n'est pas encore arrivé, dit le portier.
Et, croyant à un rendez-vous galant, le pipelet fit une risette à Héloïse
en ajoutant:
--L'heureux drôle est vraiment inexcusable de n'être pas là pour vous
recevoir.
La cuisinière jugea utile de plaider le faux pour savoir le vrai.

--Peut-être, dit-elle, le Tombeur-des-Crânes est-il retenu par la cause
qui l'a forcé de sortir quand il savait que j'allais venir.
--Sortir? répéta le pipelet étonné.
--Oui, sortir ce matin, appuya Héloïse.
--Le Tombeur-des-Crânes n'est pas sorti ce matin pour cette bonne
raison que voici cinq jours qu'il n'a pas mis le pied ici.--Depuis qu'il est
attaché comme prévôt à une salle d'armes, par là-bas, dans les beaux
quartiers, il ne fait ici que de rares apparitions. Je ne sais même pas
pourquoi, puisqu'il est logé à sa salle d'armes, il garde ici sa chambre.
Puis, se reprenant vite d'un ton badin:
--Si, si, je le sais, c'est pour recevoir la visite de Vénus.
Héloïse était difficile à persuader. Elle mit deux francs dans la main du
savetier en disant:
--Vrai! il n'est pas chez lui?
Alors, jouant la jalousie:
--Vous ne me laissez pas monter parce qu'il y a là-haut une autre
femme, j'en suis sûre.
Le savetier se redressa d'une seule pièce et une main sur son coeur,
pendant que l'autre s'avançait tenant une vieille botte, il prononça
gravement:
--Que le nez me tombe à l'instant du visage si je vous mens d'un seul
mot!
De ce que le nez lui restait planté au milieu de la face, cela n'aurait pas
suffi pour convaincre Héloïse, si le portier, charmé par le don des
quarante sous, n'avait ajouté:
--Mon locataire, pendant ses absences, me laisse sa clef. Voulez-vous

que je vous la confie? Vous monterez pour vous assurer par vous-même
que la chambre est vide de tout habitant de l'un ou de l'autre sexe.
A cette offre, la conviction se fit en Héloïse. Mais alors elle s'alarma.
Personne chez le baron de Walhofer. Personne chez Alfred, le
Tombeur-des-Crânes. Est-ce que la même cause qui avait fait
disparaître Gustave ne pouvait pas avoir aussi supprimé l'autre?
Elle était donc là pensive, debout devant la porte de la loge dont elle
empêchait l'entrée, quand, derrière elle, se fit entendre la voix d'une
femme qui demandait:
--Alfred est-il chez lui?
Héloïse se retourna brusquement. Mais son mouvement avait été moins
prompt que celui de l'arrivante qui, après s'être présentée, par oubli sans
doute, avec le visage découvert, venait de rabattre sur sa figure un voile
épais.
La cuisinière se trouva donc en présence d'une femme d'allure un peu
massive, d'une mise bourgeoise et dont le voile empêchait de deviner
l'âge. La voix, néanmoins, avait frappée Héloïse par son accent éraillé
et légèrement trivial.
Mais si le voile, rabattu à temps, avait caché à la cuisinière les traits de
la dame, il n'en était pas de même du portier auquel la visiteuse s'était
d'abord adressée à visage découvert.
--Où ai-je déjà vu cette face-là? était en train de se demander le digne
savetier.
Comme, tout ahuri, il ne répondait pas, la dame lâcha cette phrase qui
n'accusait pas positivement une princesse:
--Quand vous resterez là à me faire vos yeux de chat sur la cendre, vous
figurez-vous que je vais moisir à attendre votre réponse, grand daim?
Les traits de la dame devaient avoir frappé fort le portier, car, au lieu de

se rendre à cette invitation de parler, il resta bouche béante et se disant:
--Pour
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