La Suggestibilité | Page 2

Alfred Binet
révoltés, des indisciplinés; probablement cette catégorie est formée
pour une bonne part de nerveux et de dégénérés.
Naturellement, je ne puis me porter garant de cette classification, qui ne repose pas, à ce
qu'il me semble, sur des observations régulières; et il faudrait sans doute rechercher s'il
est exact que les individus sur lesquels on n'a prise que par l'esprit de contradiction sont
toujours des volontaires; j'en doute un peu[1]. Mais l'essentiel est de montrer que ce
projet de classification des caractères repose sur des distinctions de suggestibilité; les
automatiques sont les plus suggestibles de tous, les sensitifs le sont déjà moins, et enfin
les actifs et les rétifs ne peuvent être suggestionnés que dans une petite mesure, et au
moyen de Détours.
[Note 1: J'ai observé bien souvent que l'esprit de contradiction est très développé chez des
personnes nerveuses, auxquelles on donne l'obsession d'un acte, rien qu'en les mettant au
défi de l'accomplir. Pitres signale avec raison les hystériques comme des sujets qu'on peut
souvent suggestionner à fond, en les prenant par l'esprit de contradiction. Je crois bien
que la tendance à contredire n'est pas nécessairement un indice de personnalité bien
organisée et capable de résister à la suggestion.]
Un auteur américain, Bolton, a donné, en passant, il y a quelques années, une
classification de caractères, dans laquelle on retrouve encore une préoccupation de la
suggestibilité des individus[2]. Il faisait une expérience sur le rythme, expérience longue
et minutieuse, dans laquelle il était obligé de rester longtemps en relation avec ses sujets,
et de les examiner de très près.
[Note 2: Voir _Année psychol._, I, p. 360.]
Il faisait entendre aux personnes des sons rythmés de différentes façons, et devait ensuite,
par des interrogations minutieuses, chercher à savoir comment chaque personne avait
perçu les sons, les avait groupés et rythmés. Il fut frappé de la manière fort différente
dont chacun se prêtait à l'expérience, et il les classa tous en trois catégories: 1° d'abord,
ceux qui s'empressent d'accepter toutes les suggestions de l'opérateur; ils n'ont aucune
idée à eux, adoptent celle qu'on leur suggère avec une docilité surprenante; ce sont les
automatiques ou passifs de la classification précédente; 2° ceux qui cherchent à se faire
une opinion personnelle; leur attitude est celle d'un scepticisme modéré et raisonnable: ils
donnent leurs impressions avec exactitude, ce sont les meilleurs sujets. L'opinion à
laquelle ils arrivent sur la question n'est pas toujours juste, car elle repose le plus souvent
sur des données incomplètes; 3° les contrariants; c'est l'espèce détestable, le désespoir des
expérimentateurs. Ce sont des gens qui poussent l'esprit de contradiction jusqu'à la
mauvaise foi; ils critiquent tout, le but de l'expérience, les conditions où l'on opère; ils
sont subtils; ils refusent de donner leur opinion, tant qu'ils ne connaissent pas celle des
autres sujets ou celle de l'expérimentateur; dès qu'ils la connaissent, ils s'empressent d'en
prendre le contre-pied, avec un grand entrain d'ergotage, Si on ne livre à leur critique
aucune opinion, ils refusent de dire la leur et se renferment dans un silence dédaigneux.
Cette seconde classification des caractères--quoique l'auteur n'ait pas eu le moins du
monde la prétention d'en faire une--ressemble beaucoup à la première, avec les
différences obligées; et soit dit en passant, c'est de cette manière-là seulement--en
classant les réactions des sujets d'après une série de points de vue,--qu'on arrivera à

établir une théorie générale des caractères, et non en faisant des classifications théoriques,
véritables châteaux bâtis en l'air. Mais ce n'est point, pour le moment, le sujet que nous
avons en vue. Nous avons voulu simplement montrer, en reproduisant les deux
classifications précédentes, que la suggestibilité en forme le fond, et qu'on ne peut pas
étudier le caractère sans tenir compte de cet élément essentiel.
G. de Lapouge[3], traitant de l'inégalité parmi les hommes, a proposé de rattacher chaque
individu ou chaque groupe à quatre grands types intellectuels:
1° Le premier type est celui des initiateurs, des inventeurs; tout ce qui change une
civilisation leur est dû.
2° Le second est celui des hommes intelligents et ingénieux, qui reprennent et
perfectionnent les inventions des premiers.
3° Le troisième type réunit les individus à esprit de troupeau, comme dit Galton, qui sont
les ennemis de toutes les idées nouvelles, de tous les progrès, et opposent soit une lutte
opiniâtre, s'ils sont intelligents, soit une inertie absolue s'ils sont inférieurs.
4° Le quatrième type est incapable de produire, de combiner, et même de recevoir par
éducation la plus modeste somme de culture.
[Note 3: G. de Lapouge, De l'inégalité parmi les hommes, _Revue d'anthrop._, 3e série,
III, 1888, p. 9.]
Cette classification des types intellectuels est curieuse; elle ne me paraît fondée sur
aucune recherche expérimentale; je l'ai reproduite parce qu'elle repose, comme celle de
Tissié, au moins en partie sur la notion de suggestibilité.
Nous pensons que
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