c'est elle qui vient à nous. Dites-lui, mon cher 
chevalier, qu'elle sera la bienvenue. 
--Je vais le lui dire, en effet, monseigneur. 
--Attendez donc, je ne vous ai pas tout dit. 
--C'est vrai. 
--Nous partons tous cette nuit. 
Le chevalier ouvrit de grands yeux. 
--Je croyais, dit-il, que le roi avait décidé de ne partir qu'à la dernière 
extrémité? 
--Oui; mais tout a été bouleversé par le meurtre de Ferrari. A dix heures 
et demie, Sa Majesté quitte le château et s'embarque avec la reine, les 
princesses, mes deux frères, les ambassadeurs et les ministres, à bord 
du vaisseau de lord Nelson. 
--Et pourquoi pas à bord d'un vaisseau napolitain? Il me semble que 
c'est faire injure à toute la marine napolitaine que de donner cette 
préférence à un bâtiment anglais. 
--La reine l'a voulu ainsi, et, sans doute par compensation, c'est moi qui 
m'embarque sur le bâtiment de l'amiral Caracciolo, et, par conséquent, 
vous vous y embarquez avec moi. 
--A quelle heure? 
--Je ne sais encore rien de tout cela: je vous le ferai dire. Tenez-vous 
prêt en tout cas; ce sera probablement de dix heures à minuit. 
--C'est bien, monseigneur.
Le prince lui prit la main, et, le regardant: 
--Vous savez, lui dit-il, que je compte sur vous. 
--Votre Altesse a ma parole, répondit San-Felice en s'inclinant, et c'est 
un trop grand honneur pour moi de l'accompagner pour que j'hésite un 
moment à le recevoir. 
Puis, prenant son chapeau et son parapluie, il sortit. 
La foule, toute grondante encore, encombrait les rues; deux ou trois 
feux étaient allumés sur la place même du palais, et l'on y faisait rôtir 
sur les braises des morceaux du cheval de Ferrari. 
Quant au malheureux courrier, il avait été mis en morceaux. L'un avait 
pris les jambes, l'autre les bras; on avait tout mis au bout de bâtons 
pointus,--les lazzaroni n'avaient encore ni piques ni baïonnettes,--et l'on 
portait dans les rues ces hideux trophées en criant: «Vive le roi! Mort 
aux jacobins!» 
A la descente du Géant, le chevalier avait rencontré le beccaïo, qui 
s'était emparé de la tête de Ferrari, lui avait mis une orange dans la 
bouche, et portait cette tête au bout d'un bâton. 
En voyant un homme bien mis,--ce qui était à Naples le signe du 
libéralisme,--le beccaïo avait eu l'idée de faire baiser au chevalier la 
tête de Ferrari. Mais, nous l'avons dit, le chevalier n'était pas homme à 
céder à la crainte. Il avait refusé de donner la sanglante accolade et 
avait rudement repoussé l'ignoble assassin. 
--Ah! misérable jacobin! s'écria le beccaïo, j'ai décidé que vous vous 
embrasseriez, cette tête et toi, et, mannaggia la Madonna! vous vous 
embrasserez. 
Et il revint à la charge. 
Le chevalier, qui n'avait pour toute arme que son parapluie, se mit en 
défense avec son parapluie.
Mais, au cri «Le jacobin! le jacobin!» poussé par le beccaïo, tous les 
misérables qui venaient d'habitude à ce cri étaient accourus, et déjà un 
cercle menaçant se formait autour du chevalier,--quand un homme 
fendit ce cercle, envoya, d'un coup de pied dans la poitrine, le beccaïo 
rouler à dix pas, tira son sabre, et, se plaçant devant le chevalier: 
--En voilà un drôle de jacobin! dit-il; le chevalier San-Felice, 
bibliothécaire de Son Altesse royale le prince de Calabre, rien que cela! 
Eh bien, continua-t-il en faisant le moulinet avec son sabre, que lui 
voulez-vous, au chevalier San-Felice? 
--Le capitaine Michele! crièrent les lazzaroni. Vive le capitaine 
Michele! il est des nôtres! 
--Ce n'est point «Vive le capitaine Michele!» qu'il faut crier; c'est 
«Vive le chevalier San-Felice!» et cela tout de suite. 
La foule, à laquelle il est égal de crier: Vive un tel! ou Mort à un tel! 
pourvu qu'elle crie, hurla d'une seule voix: 
--Vive le chevalier San-Felice! 
Seul, le beccaïo s'était tu. 
--Allons, allons, lui dit Michele, ce n'est point une raison parce que 
c'est devant la porte de son jardin que tu as reçu ta pile, pour que tu ne 
cries pas: «Vive le chevalier!» 
--Et s'il ne me plaît pas de le crier, à moi! dit le beccaïo. 
--Ce sera absolument comme si tu chantais, attendu qu'il me plaît, à 
moi, que tu le cries! Ainsi donc, continua Michele, vive le chevalier 
San-Felice, et tout de suite, ou je t'appareille l'autre oeil! 
Et il fit tourner son sabre autour de la tête du beccaïo, qui devint 
très-pâle, encore plus de terreur que de colère. 
--Mon ami, mon bon Michele, dit le chevalier, laisse cet homme 
tranquille. Tu vois bien qu'il ne me connaît pas.
--Et quand il ne vous connaîtrait pas, serait-ce une raison pour vouloir 
vous forcer de baiser la tête de ce malheureux qu'il a tué? Il est vrai 
qu'il vaudrait mieux encore baiser cette tête, qui est celle d'un honnête 
homme, que la sienne, qui est celle d'un coquin.    
    
		
	
	
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