La San-Felice, Tome II | Page 2

Alexandre Dumas, père
comme un homme qui s'en remet à la Providence du soin d'arranger une affaire difficile.
Puis, à Ruffo:
--Maintenant, continua-t-il, vous avez bien un conseil à me donner dans cette affaire-là?
--Certainement; le seul même qui soit raisonnable.
--Lequel? demanda le roi.
--Votre Majesté a un traité d'alliance avec son neveu l'empereur d'Autriche.
--J'en ai avec tout le monde, des traités d'alliance; c'est bien ce qui m'embarrasse.
--Mais enfin, sire, vous devez fournir un certain nombre d'hommes à la prochaine coalition.
--Trente mille.
--Et vous devez combiner vos mouvements avec ceux de l'Autriche et de la Russie.
--C'est convenu.
--Eh bien, quelles que soient les instances que l'on fera près de vous, sire, attendez, pour entrer en campagne, que les Autrichiens et les Russes y soient entrés eux-mêmes.
--Pardieu! c'est bien mon intention. Vous comprenez, éminence, que je ne vais pas m'amuser à faire la guerre tout seul aux Fran?ais... Mais...
--Achevez, sire.
--Si la France n'attend pas la coalition? Elle m'a déclaré la guerre, si elle me la fait?
--Je crois, par mes relations de Rome, pouvoir vous affirmer, sire, que les Fran?ais ne sont pas en mesure de vous la faire.
--Hum! voilà qui me tranquillise un peu.
--Maintenant, si Votre Majesté me permettait...
--Quoi?
--Un second conseil.
--Je le crois bien!
--Votre Majesté ne m'en avait demandé qu'un; il est vrai que le second est la conséquence du premier.
--Dites, dites.
--Eh bien, à la place de Votre Majesté, j'écrirais de ma main à mon neveu l'empereur, pour savoir de lui, non pas diplomatiquement, mais confidentiellement, à quelle époque il compte se mettre en campagne, et, prévenu par lui, je réglerais mes mouvements sur les siens.
--Vous avez raison, mon éminentissime, et je vais lui écrire à l'instant même.
--Avez-vous un homme s?r à lui envoyer, sire?
--J'ai mon courrier Ferrari.
--Mais s?r, s?r, s?r?
--Eh! mon cher cardinal, vous voulez un homme trois fois sur, quand il est si difficile d'en trouver qui le soit une fois.
--Enfin, celui-là?
--Je le crois plus s?r que les autres.
--Il a donné à Votre Majesté des preuves de sa fidélité?
--Cent.
--Où est-il?
--Où est-il? Parbleu! il est ici quelque part, couché dans mes antichambres, tout botté et tout éperonné, pour être prêt à partir au premier ordre, quelque heure du jour ou de la nuit que ce soit.
--Il faut écrire d'abord, et nous le chercherons après.
--écrire, c'est facile à dire, éminence; où diable vais-je trouver à cette heure-ci de l'encre, du papier et des plumes?
--L'évangile dit: Qu?re et invenies.
--Je ne sais pas le latin. Votre éminence.
--?Cherche et tu trouveras.?
Le roi alla à son secrétaire, ouvrit tous les tiroirs les uns après les autres, et ne trouva rien de ce qu'il cherchait.
--L'évangile ment, dit-il.
Et il retomba tout contrit dans son fauteuil.
--Que voulez-vous, cardinal! ajouta-t-il en poussant un soupir, je déteste écrire.
--Votre Majesté est cependant décidée à en prendre la peine cette nuit.
--Sans doute; mais, vous le voyez, tout me manque; il me faudrait réveiller tout mon monde, et encore... Vous comprenez bien, mon cher ami, quand le roi n'écrit pas, personne n'a de plumes, d'encre ni de papier. Oh! je n'aurais qu'à faire demander tout cela chez la reine, elle en a, elle. C'est une écriveuse. Mais, si l'on savait que j'ai écrit, on croirait, ce qui est vrai, au reste, que l'état est en péril. ?Le roi a écrit... A qui? pourquoi?? Ce serait un événement à remuer tout le palais.
--Sire, c'est donc à moi de trouver ce que vous cherchez inutilement.
--Et où cela?
Le cardinal salua le roi, sortit, et, une minute après, rentra avec du papier, de l'encre et des plumes.
Le roi le regarda d'un air d'admiration.
--Où diable avez-vous pris cela, éminence? demanda-t-il.
--Tout simplement chez vos huissiers.
--Comment! malgré ma défense, ces dr?les-là avaient du papier, de l'encre et des plumes?
--Il leur faut bien cela pour inscrire les noms de ceux qui viennent solliciter des audiences de Votre Majesté.
--Je ne leur en ai jamais vu.
--Parce qu'ils les cachaient dans une armoire. J'ai découvert l'armoire, et voilà tout ce qui est nécessaire à Votre Majesté.
--Allons, allons, vous êtes homme de ressource. Maintenant, mon éminentissime, dit le roi d'un air dolent, est-il bien nécessaire que cette lettre soit écrite de ma main?
--Cela vaudra mieux, elle en sera plus confidentielle.
--Alors, dictez-moi.
--Oh! sire...
--Dictez-moi, vous dis-je, ou, sans cela, je serai deux heures à écrire une demi-page. Ah! j'espère bien que San-Nicandro est damné, non-seulement dans le temps, mais encore dans l'éternité, pour avoir fait de moi un pareil ane.
Le cardinal trempa dans l'encre une plume fra?chement taillée et la présenta au roi.
--écrivez donc, sire.
--Dictez, cardinal.
--Puisque Votre Majesté l'ordonne, dit Ruffo en s'inclinant.
Et il dicta.
?Très-excellent frère, cousin et neveu, allié et confédéré,
?Je dois vous instruire sans retard de ce qui vient de se passer hier soir au palais de l'ambassadeur d'Angleterre. Lord Nelson, ayant relaché à Naples, au retour d'Aboukir, et sir William Hamilton lui donnant une fête, le citoyen Garat, ministre de la République, a pris cette occasion de me déclarer la guerre de la
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