Aulu-Gelle, qui 
conféra les plus beaux endroits des philosophes en ses Nuits attiques, 
comme Apulée, qui mit dans _sa Métamorphose_ les meilleures fables 
des Grecs, je me donne un travail d'abeille et je veux recueillir un miel 
exquis. Je ne saurais néanmoins me flatter au point de me croire l'émule 
de ces deux grands auteurs, puisque c'est uniquement dans les propres 
souvenirs de ma vie et non dans d'abondantes lectures, que je puise 
toutes mes richesses. Ce que je fournis de mon propre fonds c'est la 
bonne foi. Si jamais quelque curieux lit mes mémoires, il reconnaîtra 
qu'une âme candide pouvait seule s'exprimer dans un langage si simple 
et si uni. J'ai toujours passé pour très naïf dans les compagnies où j'ai 
vécu. Cet écrit ne peut que continuer cette opinion après ma mort. 
 
J'ai nom Elme-Laurent-Jacques Ménétrier. Mon père, Léonard 
Ménétrier, était rôtisseur rue Saint-Jacques à l'enseigne de la _Reine 
Pédauque_, qui, comme on sait, avait les pieds palmés à la façon des 
oies et des canards. 
Son auvent s'élevait vis-à-vis de Saint-Benoît-le-Bétourné, entre 
madame Gilles, mercière aux _Trois-Pucelles_, et M. Blaizot, libraire à 
l'_Image Sainte-Catherine_, non loin du Petit Bacchus, dont la grille, 
ornée de pampres, faisait le coin de la rue des Cordiers. Il m'aimait 
beaucoup et quand, après souper, j'étais couché dans mon petit lit, il me 
prenait la main, soulevait l'un après l'autre mes doigts, en commençant 
par le pouce, et disait: 
--Celui-là l'a tué, celui-là l'a plumé, celui-là l'a fricassé, celui-là l'a 
mangé. Et le petit Riquiqui, qui n'a rien du tout. 
"Sauce, sauce, sauce, ajoutait-il en me chatouillant, avec le bout de 
mon petit doigt, le creux de la main. 
Et il riait très fort. Je riais aussi en m'endormant, et ma mère affirmait
que le sourire restait encore sur mes lèvres le lendemain matin. 
Mon père était bon rôtisseur et craignait Dieu. C'est pourquoi il portait, 
aux jours de fête, la bannière des rôtisseurs, sur laquelle un beau saint 
Laurent était brodé avec son gril et une palme d'or. Il avait coutume de 
me dire: 
--Jacquot, ta mère est une sainte et digne femme. 
C'est un propos qu'il se plaisait à répéter. Et il est vrai que ma mère 
allait tous les dimanches à l'église avec un livre imprimé en grosses 
lettres. Car elle savait mal lire le petit caractère qui, disait-elle, lui tirait 
les yeux hors de la tête. Mon père passait, chaque soir, une heure ou 
deux au cabaret du Petit Bacchus, que fréquentaient Jeannette la 
vielleuse et Catherine la dentellière. Et, chaque fois qu'il en revenait un 
peu plus tard que de coutume, il disait d'une voix attendrie en mettant 
son bonnet de coton: 
--Barbe, dormez en paix. Je le disais tantôt encore au coutelier boiteux: 
Vous êtes une sainte et digne femme. 
J'avais six ans, quand, un jour, rajustant son tablier, ce qui était en lui 
signe de résolution, il me parla de la sorte: 
--Miraut, notre bon chien, a tourné ma broche pendant quatorze ans. Je 
n'ai pas de reproche à lui faire. C'est un bon serviteur qui ne m'a jamais 
volé le moindre morceau de dinde ni d'oie. Il se contentait pour prix de 
sa peine de lécher la rôtissoire. Mais il se fait vieux. Sa patte devient 
raide, il n'y voit goutte et ne vaut plus rien pour tourner la manivelle. 
Jacquot, c'est à toi, mon fils, de prendre sa place. Avec de la réflexion 
et quelque usage, tu y réussiras sans faute aussi bien que lui. 
Miraut écoutait ces paroles et secouait la queue en signe d'approbation. 
Mon père poursuivit: 
--Donc, assis sur cet escabeau, tu tourneras la broche. Cependant, afin 
de te former l'esprit, tu repasseras ta Croix de Dieu, et quand, par la 
suite, tu sauras lire toutes les lettres moulées, tu apprendras par coeur
quelque livre de grammaire ou de morale ou encore les belles maximes 
de l'Ancien et Nouveau Testament. Car la connaissance de Dieu et la 
distinction du bien et du mal sont nécessaires même dans un état 
mécanique, de petit renom sans doute, mais honnête comme est le mien, 
qui fut celui de mon père et qui sera le tien, s'il plaît à Dieu. 
A compter de ce jour, assis du matin au soir, au coin de la cheminée, je 
tournai la broche, ma Croix de Dieu ouverte sur mes genoux. Un bon 
capucin, qui venait, avec son sac, quêter chez mon père, m'aidait à 
épeler. Il le faisait d'autant plus volontiers que mon père, qui estimait le 
savoir, lui payait ses leçons d'un beau morceau de dinde et d'un grand 
verre de vin, tant qu'enfin le petit frère, voyant que je formais assez 
bien les syllabes et les mots, m'apporta une belle Vie de sainte 
Marguerite, où il m'enseigna à lire couramment. 
Un jour, ayant posé, comme de    
    
		
	
	
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