La Marquise

George Sand
La Marquise, by George Sand

The Project Gutenberg EBook of La Marquise, by George Sand This eBook is for the use
of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy
it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
with this eBook or online at www.gutenberg.net
Title: La Marquise
Author: George Sand
Release Date: July 26, 2004 [EBook #13025]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA MARQUISE ***

Produced by Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading Team. This file
was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de
France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr

[Illustration: images/ill-1.png]
LA MARQUISE
I.
La marquise de R... n'était pas fort spirituelle, quoiqu'il soit reçu en littérature que toutes
les vieilles femmes doivent pétiller d'esprit. Son ignorance était extrême sur toutes les
choses que le frottement du monde ne lui avait point apprises. Elle n'avait pas non plus
cette excessive délicatesse d'expression, cette pénétration exquise, ce tact merveilleux qui
distinguent, à ce qu'on dit, les femmes qui ont beaucoup vécu. Elle était, au contraire,
étourdie, brusque, franche, quelquefois même cynique. Elle détruisait absolument toutes
les idées que je m'étais faites d'une marquise du bon temps. Et pourtant elle était bien
marquise, et elle avait vu la cour de Louis XV; mais, comme ç'avait été dès lors un
caractère d'exception, je vous prie de ne pas chercher dans son histoire l'étude sérieuse
des moeurs d'une époque. La société me semble si difficile à connaître bien et à bien

peindre dans tous les temps, que je ne veux point m'en mêler. Je me bornerai à vous
raconter de ces faits particuliers qui établissent des rapports de sympathie irrécusable
entre les hommes de toutes les sociétés et de tous les siècles.
Je n'avais jamais trouvé un grand charme dans la société de cette marquise. Elle ne me
semblait remarquable que pour la prodigieuse mémoire qu'elle avait conservée du temps
de sa jeunesse, et pour la lucidité virile avec laquelle s'exprimaient ses souvenirs. Du
reste, elle était, comme tous les vieillards, oublieuse des choses de la veille et insouciante
des événements qui n'avaient point sur sa destinée une influence directe.
Elle n'avait pas eu une de ces beautés piquantes qui, manquant d'éclat et de régularité, ne
pouvaient se passer d'esprit. Une femme ainsi faite en acquérait pour devenir aussi belle
que celles qui l'étaient davantage. La marquise, au contraire, avait eu le malheur d'être
incontestablement belle. Je n'ai vu d'elle que son portrait, qu'elle avait, comme toutes les
vieilles femmes, la coquetterie d'étaler dans sa chambre à tous les regards. Elle y était
représentée en nymphe chasseresse, avec un corsage de satin imprimé imitant la peau de
tigre, des manches de dentelle, un arc de bois de sandal et un croissant de perles qui se
jouait sur ses cheveux crêpés. C'était, malgré tout, une admirable peinture, et surtout une
admirable femme; grande, svelte, brune, avec des yeux noirs, des traits sévères et nobles,
une bouche vermeille qui ne souriait point, et des mains qui, dit-on, avaient fait le
désespoir de la princesse de Lamballe. Sans la dentelle, le satin et la poudre, c'eût été
vraiment là une de ces nymphes fières et agiles que les mortels apercevaient au fond des
forêts ou sur le flanc des montagnes pour en devenir fous d'amour et de regret.
Pourtant la marquise avait eu peu d'aventures. De son propre aveu, elle avait passé pour
manquer d'esprit. Les hommes blasés d'alors aimaient moins la beauté pour elle-même
que pour ses agaceries coquettes. Des femmes infiniment moins admirées lui avaient ravi
tous ses adorateurs, et, ce qu'il y a d'étrange, elle n'avait pas semblé s'en soucier beaucoup.
Ce qu'elle m'avait raconté, à bâtons rompus, de sa vie me faisait penser que ce coeur-là
n'avait point eu de jeunesse, et que la froideur de l'égoïsme avait dominé toute autre
faculté. Cependant je voyais autour d'elle des amitiés assez vives pour la vieillesse: ses
petits-enfants la chérissaient, et elle faisait du bien sans ostentation; mais comme elle ne
se piquait pas de principes, et avouait n'avoir jamais aimé son amant, le vicomte de
Larrieux, je ne pouvais pas trouver d'autre explication à son caractère.
Un soir je la vis plus expansive encore que de coutume. Il y avait de la tristesse dans ses
pensées. «Mon cher enfant, me dit-elle, le vicomte de Larrieux vient de mourir de sa
goutte; c'est une grande douleur pour moi, qui fus son amie pendant soixante ans. Et puis
il est effrayant de voir comme l'on meurt! Ce n'est pas étonnant, il était si vieux!
--Quel âge avait-il? demandai-je.
--Quatre-vingt-quatre ans. Pour moi, j'en ai quatre-vingts; mais je ne suis pas infirme
comme il l'était; je dois espérer
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 20
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.