il traversait l'empire de Mariette et le 
trouvait occupé: 
--Qu'est-ce qui ne va pas, mon ami? 
Mariette dévisageait les nouveaux venus d'un coup d'oeil hostile et 
perspicace, qui démasquait les simulateurs et glaçait les malheureux 
dont la présence importune coïncidait avec l'heure sacrée des repas. J'ai 
assisté à bien des déballages de misères paysannes: elles ne s'avouent 
que peu à peu et gardent la pudeur des plaintes, comme si la maladie 
était une honte. Mais je ne comprenais pas cette réserve où je ne voyais 
qu'une difficulté de parole. 
Octobre qui est la saison des vendanges marquait le triomphe de la 
cuisinière. C'étaient alors les entrées et sorties continuelles des 
vignerons qui occupaient le pressoir et qu'il fallait nourrir grand renfort 
de choux et de jambon, de boeuf bouilli et de pommes de terre dont le 
mélange répandait une buée chaude et savoureuse. Nous profitions de 
cette agitation, mes frères et soeurs et moi, pour nous établir sur les 
chenets, les poches pleines de noix que le vent avait secouées là-bas sur 
le chemin de la ferme, ou que nous avions sans permission abattues 
avec des gaules. Un caillou nous servait de marteau pour les écraser sur 
la pierre. Si la coque verte leur était restée, il en jaillissait un jus qui 
tachait les mains et les habits, et dont les meilleurs savons ne 
parvenaient pas à chasser les signes révélateurs. Mais le fruit bien pelé, 
bien blanc, pareil à un poulet à la broche pour dîner de poupée, craquait 
sous la dent délicieusement. Ou bien nous faisions brisoler des 
châtaignes, sournoisement, sur un coin du fourneau. Et nous goûtions le 
plaisir d'avoir chaud par tout le corps, après avoir subi au dehors, en 
traînant nos pieds dans les feuilles sèches, les bises d'automne qui dans 
mon pays sont âpres et rudes. 
Plus d'une fois aussi, j'ai suivi avec curiosité les mouvements de 
Mariette quand elle étouffait la volaille. Sa dextérité, comme son 
indifférence, était extrême. Tel le bourreau le plus exercé, elle 
décapitait les canards qui continuaient de courir sans leur tête, ce qui 
me frappait d'admiration. Un jour, elle me demanda de maintenir
pendant l'opération un de ces volatiles récalcitrants. Comme je refusais 
mon concours d'une voix indignée, elle me dit avec la brusquerie qui 
lui était familière: 
--Eh! faites le dégoûté vous en mangez bien! 
Je ne vais pas vous conduire à travers toute la maison. Ce serait trop 
long, car elle a deux étages, dont le second est beaucoup moins âgé que 
le premier, plus un grenier et la tour. La tour, au sommet de l'escalier 
en colimaçon, commande les quatre horizons de ses quatre fenêtres. 
Cette vue multipliée, trop étendue à mon gré, ne m'intéressait pas 
beaucoup. Je suppose que les enfants détestent ce qui se perd, ce qui ne 
sert pas, les nuages, les paysages brouillés. Les jours de gros temps, on 
entendait de là le vent qui menait un vacarme infernal: on l'aurait pris 
pour un être vivant, puissant et incivil qui insultait les murailles avant 
de les jeter bas. L'escalier n'était pas trop clair, à la tombée de la nuit, 
on y prenait peur facilement et, à cause des marches qui s'amincissaient 
en s'encastrant dans la colonne de support, on risquait, si l'on allait vite, 
de se carabosser. Carabosser est un verbe que tante Dine avait inventé 
pour les chutes violentes obtenues par précipitation et d'où l'on se 
relevait meurtri, éclopé et enflé: il doit venir de la mauvaise fée 
Carabosse. Quant au grenier, nul de nous n'y aurait pénétré sans 
compagnie. Une seule lucarne lui accordait avec parcimonie une 
lumière insuffisante, de sorte que les tas de bois, les fascines et tous les 
objets mis au rancart, qui peu à peu venaient à prolonger indéfiniment 
leur existence inutile, prenaient des aspects bizarres d'instruments de 
torture ou de personnages menaçants. En outre, les rats s'y livraient des 
batailles rangées, et des pièces qui étaient au-dessous on aurait cru 
assister à des courses organisées, avec sauts d'obstacles. De temps à 
autre on y mettait le chat, un superbe angora fainéant, gourmand et peu 
guerrier, qui sans doute craignait pour sa fourrure et miaulait de frayeur 
jusqu'à ce que tante Dine, qui en avait soin, le délivrât de sa corvée 
militaire, ce qui ne tardait jamais. 
Le salon, dont les volets, d'habitude, étaient fermés et qu'on n'ouvrait 
que pour les jours de réception ou de cérémonie, nous était 
formellement interdit, et de même le cabinet de mon père, encombré de
livres, d'appareils et de fioles, où l'on ne s'aventurait qu'au cours 
d'explorations rapides, où je voyais entrer toutes sortes de tristes figures 
qui, pour la plupart, se détendaient à la sortie. Mais, en revanche, on 
nous abandonnait la salle à manger. Elle fut le théâtre de scènes 
tumultueuses, et plus d'une fois les chaises durent être    
    
		
	
	
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