avec sa belle-soeur, et, dans la chambre à côté, 
Fernande et Raphaële reposeraient ensemble. Louise et Flora se 
trouvaient installées dans la cuisine sur un matelas jeté par terre; et 
Rosa occupait seule un petit cabinet noir au-dessus de l'escalier, contre 
l'entrée d'une soupente étroite où coucherait, cette nuit-là, la 
communiante. 
Lorsque rentra la petite fille, ce fut sur elle une pluie de baisers; toutes 
les femmes la voulaient caresser, avec ce besoin d'expansion tendre, 
cette habitude professionnelle de chatteries, qui, dans le wagon, les 
avait fait toutes embrasser les canards. Chacune l'assit sur ses genoux, 
mania ses fins cheveux blonds, la serra dans ses bras en des élans 
d'affection véhémente et spontanée. L'enfant bien sage, toute pénétrée 
de piété, comme fermée par l'absolution, se laissait faire, patiente et 
recueillie. 
La journée ayant été pénible pour tout le monde, on se coucha bien vite 
après dîner. Ce silence illimité des champs qui semble presque 
religieux enveloppait le petit village, un silence tranquille, pénétrant, et 
large jusqu'aux astres. Les filles, accoutumées aux soirées tumultueuses 
du logis public, se sentaient émues par ce muet repos de la campagne 
endormie. Elles avaient des frissons sur la peau, non de froid, mais des 
frissons de solitude venus du coeur inquiet et troublé. 
Sitôt qu'elles furent en leur lit, deux par deux, elles s'étreignirent 
comme pour se défendre contre cet envahissement du calme et profond 
sommeil de la terre. Mais Rosa la Rosse, seule en son cabinet noir, et 
peu habituée à dormir les bras vides, se sentit saisie par une émotion 
vague et pénible. Elle se retournait sur sa couche, ne pouvant obtenir le 
sommeil, quand elle entendit, derrière la cloison de bois contre sa tête, 
de faibles sanglots comme ceux d'un enfant qui pleure. Effrayée, elle 
appela faiblement, et une petite voix entrecoupée lui répondit. C'était la 
fillette qui, couchant toujours dans la chambre de sa mère, avait peur en 
sa soupente étroite. 
Rosa, ravie, se leva, et doucement, pour ne réveiller personne, alla 
chercher l'enfant. Elle l'amena dans son lit bien chaud, la pressa contre 
sa poitrine en l'embrassant, la dorlota, l'enveloppa de sa tendresse aux
manifestations exagérées, puis, calmée elle-même, s'endormit. Et 
jusqu'au jour la communiante reposa son front sur le sein nu de la 
prostituée. 
Dès cinq heures, à _l'Angélus_, la petite cloche de l'église sonnant à 
toute volée réveilla ces dames qui dormaient ordinairement leur 
matinée entière, seul repos des fatigues nocturnes. Les paysans dans le 
village étaient déjà debout. Les femmes du pays allaient affairées de 
porte en porte, causant vivement, apportant avec précaution de courtes 
robes de mousseline empesées comme du carton, ou des cierges 
démesurés, avec un noeud de soie frangée d'or au milieu, et des 
découpures de cire indiquant la place de la main. Le soleil déjà haut 
rayonnait dans un ciel tout bleu qui gardait vers l'horizon une teinte un 
peu rosée, comme une trace affaiblie de l'aurore. Des familles de poules 
se promenaient devant leurs maisons; et, de place en place, un coq noir 
au cou luisant levait sa tête coiffée de pourpre, battait des ailes, et jetait 
au vent son chant de cuivre que répétaient les autres coqs. 
Des carrioles arrivaient des communes voisines, déchargeant au seuil 
des portes les hautes Normandes en robes sombres, au fichu croisé sur 
la poitrine et retenu par un bijou d'argent séculaire. Les hommes 
avaient passé la blouse bleue sur la redingote neuve ou sur le vieil habit 
de drap vert dont les deux basques passaient. 
Quand les chevaux furent à l'écurie, il y eut ainsi tout le long de la 
grande route une double ligne de guimbardes rustiques, charrettes, 
cabriolets, tilburys, chars à bancs, voitures de toute forme et de tout âge, 
penchées sur le nez ou bien cul par terre et les brancards au ciel. 
La maison du menuisier était pleine d'une activité de ruche. Ces dames, 
en caraco et en jupon, les cheveux répandus sur le dos, des cheveux 
maigres et courts qu'on aurait dits ternis et rongés par l'usage, 
s'occupaient à habiller l'enfant. 
La petite, debout sur une table, ne remuait pas, tandis que Mme Tellier 
dirigeait les mouvements de son bataillon volant. On la débarbouilla, 
on la peigna, on la coiffa, on la vêtit, et, à l'aide d'une multitude 
d'épingles, on disposa les plis de la robe, on pinça la taille trop large, on 
organisa l'élégance de la toilette. Puis, quand ce fut terminé, on fit 
asseoir la patiente en lui recommandant de ne plus bouger; et la troupe 
agitée des femmes courut se parer à son tour. 
La petite église recommençait à sonner. Son tintement frêle de cloche
pauvre montait se perdre à travers le ciel, comme une voix trop faible, 
vite noyée dans l'immensité bleue. 
Les communiants sortaient des portes, allaient vers le bâtiment 
communal qui contenait les deux écoles et    
    
		
	
	
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