La Main Gauche

Guy de Maupassant
La Main Gauche, by Guy de
Maupassant

The Project Gutenberg EBook of La Main Gauche, by Guy de
Maupassant This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost
and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it
away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License
included with this eBook or online at www.gutenberg.net
Title: La Main Gauche
Author: Guy de Maupassant
Release Date: March 7, 2004 [EBook #11495]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA MAIN
GAUCHE ***

Produced by Miranda van de Heijning, Renald Levesque and PG
Distributed Proofreaders. This file was produced from images
generously made available by the Bibliotheque nationale de France
(BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr.

GUY DE MAUPASSANT

La Main Gauche
1889

ALLOUMA
I
Un de mes amis m'avait dit: Si tu passes par hasard aux environs de
Bordj-Ebbaba, pendant ton voyage en Algérie, va donc voir mon ancien
camarade Auballe, qui est colon là-bas.
J'avais oublié le nom d'Auballe et le nom d'Ebbaba et je ne songeais
guère à ce colon, quand j'arrivai chez lui, par pur hasard. Depuis un
mois je rôdais à pied par toute cette région magnifique qui s'étend
d'Alger à Cherchell, Orléansville et Tiaret. Elle est en même temps
boisée et nue, grande et intime. On rencontre, entre deux monts, des
forêts de pins profondes en des vallées étroites où roulent des torrents
en hiver. Des arbres énormes tombés sur le ravin servent de pont aux
Arabes, et aussi aux lianes qui s'enroulent aux troncs morts et les parent
d'une vie nouvelle. Il y a des creux, et des plis inconnus de montagne,
d'une beauté terrifiante, et des bords de ruisselets, plats et couverts de
lauriers-roses, d'une inimaginable grâce.
Mais ce qui m'a laissé au coeur les plus chers souvenirs en cette
excursion, ce sont les marches de l'après-midi le long des chemins un
peu boisés sur ces ondulations des côtes d'où l'on domine un immense
pays onduleux et roux depuis la mer bleuâtre jusqu'à la chaîne de
l'Ouarsenis qui porte sur ses faîtes la forêt de cèdres de Teniet-el-Haad.
Ce jour-là je m'égarai. Je venais de gravir un sommet, d'où j'avais
aperçu, au-dessus d'une série de collines, la longue plaine de la Mitidja,
puis par derrière, sur la crête d'une autre chaîne, dans un lointain
presque invisible, l'étrange monument qu'on nomme le Tombeau de la
Chrétienne, sépulture d'une famille de rois de Mauritanie, dit-on. Je
redescendais, allant vers le Sud, découvrant devant moi jusqu'aux
cimes dressées sur le ciel clair, au seuil du désert, une contrée bosselée,

soulevée et fauve, fauve comme si toutes ces collines étaient
recouvertes de peaux de lion cousues ensemble. Quelquefois, au milieu
d'elles, une bosse plus haute se dressait, pointue et jaune, pareille au
dos broussailleux d'un chameau.
J'allais à pas rapides, léger, comme on l'est en suivant les sentiers
tortueux sur les pentes d'une montagne. Rien ne pèse, en ces courses
alertes dans l'air vif des hauteurs, rien ne pèse, ni le corps, ni le coeur,
ni les pensées, ni même les soucis. Je n'avais plus rien en moi, ce
jour-là, de tout ce qui écrase et torture notre vie, rien que la joie de cette
descente. Au loin, j'apercevais des campements arabes, tentes brunes,
pointues, accrochées au sol comme les coquilles de mer sur les rochers,
ou bien des gourbis, huttes de branches d'où sortait une fumée grise.
Des formes blanches, hommes ou femmes, erraient autour à pas lents;
et les clochettes des troupeaux tintaient vaguement dans l'air du soir.
Les arbousiers sur ma route se penchaient, étrangement chargés de
leurs fruits de pourpre qu'ils répandaient dans le chemin. Ils avaient l'air
d'arbres martyrs d'où coulait une sueur sanglante, car au bout de chaque
branchette pendait une graine rouge comme une goutte de sang.
Le sol, autour d'eux, était couvert de cette pluie suppliciale, et le pied
écrasant les arbouses laissait par terre des traces de meurtre. Parfois,
d'un bond, en passant, je cueillais les plus mûres pour les manger.
Tous les vallons à présent se remplissaient d'une vapeur blonde qui
s'élevait lentement comme la buée des flancs d'un boeuf; et sur la
chaîne des monts qui fermaient l'horizon, à la frontière du Sahara
flamboyait un ciel de Missel. De longues traînées d'or alternaient avec
des traînées de sang--encore du sang! du sang et de l'or, toute l'histoire
humaine--et parfois entre elles s'ouvrait une trouée mince sur un azur
verdâtre, infiniment lointain comme le rêve.
Oh! que j'étais loin, que j'étais loin de toutes les choses et de toutes les
gens dont on s'occupe autour des boulevards, loin de moi-même aussi,
devenu une sorte d'être errant, sans conscience, et sans pensée, un oeil
qui passe, qui voit, qui aime voir, loin encore de ma route
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 47
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.