de linge, en hochant de nouveau la tête. Un instant, 
toutes deux gardèrent le silence. Autour d'elles, le lavoir s'était apaisé. 
Onze heures sonnaient. La moitié des laveuses, assises d'une jambe au 
bord de leurs baquets, avec un litre de vin débouché à leurs pieds, 
mangeaient des saucisses dans des morceaux de pain fendus. Seules, les 
ménagères venues là pour laver leurs petits paquets de linge, se hâtaient, 
en regardant l'oeil-de-boeuf accroché au-dessus du bureau. Quelques 
coups de battoir partaient encore, espacés, au milieu des rires adoucis, 
des conversations qui s'empâtaient dans un bruit glouton de mâchoires; 
tandis que la machine à vapeur, allant son train, sans repos ni trêve, 
semblait hausser la voix, vibrante, ronflante, emplissant l'immense salle. 
Mais pas une des femmes ne l'entendait; c'était comme la respiration 
même du lavoir, une baleine ardente amassant sous les poutres du 
plafond l'éternelle buée qui flottait. La chaleur devenait intolérable; des 
raies de soleil entraient à gauche, par les hautes fenêtres, allumant les 
vapeurs fumantes de nappes opalisées, d'un gris-rose et d'un gris-bleu 
très-tendres. Et, comme des plaintes s'élevaient, le garçon Charles allait 
d'une fenêtre à l'autre, tirait des stores de grosse toile; ensuite, il passa 
de l'autre côté, du côté de l'ombre, et ouvrit des vasistas. On l'acclamait, 
on battait des mains; une gaieté formidable roulait. Bientôt, les derniers 
battoirs eux-mêmes se turent. Les laveuses, la bouche pleine, ne 
faisaient plus que des gestes avec les couteaux ouverts qu'elles tenaient 
au poing. Le silence devenait tel, qu'on entendait régulièrement, tout au 
bout, le grincement de la pelle du chauffeur, prenant du charbon de 
terre et le jetant dans le fourneau de la machine. 
Cependant, Gervaise lavait son linge de couleur dans l'eau chaude, 
grasse de savon, qu'elle avait conservée. Quand elle eut fini, elle 
approcha un tréteau, jeta en travers toutes les pièces, qui faisaient par 
terre des mares bleuâtres. Et elle commença à rincer. Derrière elle, le 
robinet d'eau froide coulait au-dessus d'un vaste baquet, fixé au sol, et 
que traversaient deux barres de bois, pour soutenir le linge. Au-dessus, 
en l'air, deux autres barres passaient, où le linge achevait de s'égoutter. 
-- Voilà qui va être fini, ce n'est pas malheureux, dit madame Boche. Je 
reste pour vous aider à tordre tout ça. 
-- Oh! ce n'est pas la peine, je vous remercie bien, répondit la jeune
femme, qui pétrissait de ses poings et barbottait les pièces de couleur 
dans l'eau claire. Si j'avais des draps, je ne dis pas. 
Mais il lui fallut pourtant accepter l'aide de la concierge. Elles tordaient 
toutes deux, chacune à un bout, une jupe, un petit lainage marron 
mauvais teint, d'où sortait une eau jaunâtre, lorsque madame Boche 
s'écria: 
-- Tiens! la grande Virginie!... Qu'est-ce qu'elle vient laver ici, celle-là, 
avec ses quatre guenilles dans un mouchoir? 
Gervaise avait vivement levé la tête. Virginie était une fille de son âge, 
plus grande qu'elle, brune, jolie, malgré sa figure un peu longue. Elle 
avait une vieille robe noire à volants, un ruban rouge au cou; et elle 
était coiffée avec soin, le chignon pris dans un filet en chenille bleue. 
Un instant, au milieu de l'allée centrale, elle pinça les paupières, ayant 
l'air de chercher; puis, quand elle eut aperçu Gervaise, elle vint passer 
près d'elle, raide, insolente, balançant ses hanches, et s'installa sur la 
même rangée, à cinq baquets de distance. 
-- En voilà un caprice! continuait madame Boche, à voix plus basse. 
Jamais elle ne savonne une paire de manches... Ah! une fameuse 
fainéante, je vous en réponds! Une couturière qui ne recoud pas 
seulement ses bottines! C'est comme sa soeur, la brunisseuse, cette 
gredine d'Adèle, qui manque l'atelier deux jours sur trois! Ça n'a ni père 
ni mère connus, ça vit d'on ne sait quoi, et si l'on voulait, parler... 
Qu'est-ce qu'elle frotte donc là? Hein! c'est un jupon? Il est joliment 
dégoûtant, il a dû en voir de propres, ce jupon! 
Madame Boche, évidemment, voulait faire plaisir à Gervaise. La vérité 
était qu'elle prenait souvent le café avec Adèle et Virginie, quand les 
petites avaient de l'argent. Gervaise ne répondait pas, se dépêchait, les 
mains fiévreuses. Elle venait de faire son bleu, dans un petit baquet 
monté sur trois pieds. Elle trempait ses pièces de blanc, les agitait un 
instant au fond de l'eau teintée, dont le reflet prenait une pointe de 
laque; et, après les avoir tordues légèrement, elle les alignait sur les 
barres de bois, en haut. Pendant toute cette besogne, elle affectait de 
tourner le dos à Virginie. Mais elle entendait ses ricanements, elle 
sentait sur elle ses regards obliques. Virginie semblait n'être venue que 
pour la provoquer. Un instant, Gervaise s'étant retournée, elles se 
regardèrent toutes deux, fixement. 
-- Laissez-la donc, murmura madame Boche. Vous n'allez peut-être pas
vous prendre aux cheveux... Quand je vous dis    
    
		
	
	
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