meute inintelligente des policiers qui, demain, battront le terrain, le 
limier galopant sur la bonne piste. Sans souci du danger et sans le 
secours de personnel, je voudrais faire ce métier et montrer cette chose
extraordinaire: un homme seul, sans ressource, sans autre appui que sa 
volonté, sans autres renseignements que ceux qu'il aurait su trouver 
lui-même, arrivant à la vérité, puis, sans cri, sans combat, déclarant le 
plus simplement du monde, un beau jour: 
-- «À telle heure, à tel endroit, vous trouverez les meurtriers. Je dis 
qu'ils seront là, non parce que le hasard m'a mis sur leurs traces, mais 
parce qu'ils ne peuvent se trouver ailleurs; et ils ne peuvent se trouver 
ailleurs par la seule raison que les événements provoqués par moi les 
ont obligés à venir donner dans le piège chaque jour plus étroit et plus 
solide que j'ai tendu sous leurs pas.» 
J'emploierais à cela tout le temps nécessaire, mes nuits, mes jours, 
pendant des semaines et des mois. Ainsi, je connaîtrais cette volupté 
d'être celui qui cherche, et trouve. Auprès de cela parlez-moi des 
émotions du jeu, de l'ivresse de la découverte! J'aurais goûté toutes les 
voluptés en une seule... Toutes?... À la vérité, il m'en manquerait une: 
la peur... La peur qui décuple les forces, double, triple les heures... 
Mais, alors... il est donc une volupté supérieure à celle de la 
poursuite?... Oui! celle d'être poursuivi. 
Ah! La bête traquée par les chiens, qui fuit vers l'horizon mouvant, 
heurtant son front aux branches basses, arrachant ses flancs aux halliers, 
quelle histoire de l'épouvante elle pourrait dire, si la pensée habitait son 
cerveau! Le coupable qui se sent découvert, qui croit, à chaque 
carrefour, voir se dresser devant lui la justice; pour qui les jours ne 
savent pas finir, pour qui les nuits se peuplent d'affreux rêves, et les 
réveils d'ivresse folle et fugitive, il doit connaître tout cela! Pour peu 
que son âme soit bien trempée, quelles joies rapides, mais puissantes, 
ne doit-il pas éprouver lorsqu'il est parvenu à mettre en défaut l'habileté 
de ceux qui le harcèlent, à les lancer sur une fausse piste, et à reprendre 
haleine, tout en les voyant chercher, s'énerver, s'arrêter et repartir 
encore, jusqu'à ce que leur instinct ou leur clairvoyance les ait remis sur 
le bon chemin!... Cela, vraiment, c'est la lutte, le combat d'homme à 
homme, la guerre sans pitié, avec ses dangers et ses ruses. Tout 
l'instinct de la bête est là: c'est l'image de ces combats effroyables, qui 
jettent les êtres les uns contre les autres, depuis que le monde est
monde et qu'il faut conquérir la proie de chaque jour. N'est- ce pas à ce 
jeu terrible que l'enfant demande ses premières joies? Sans le savoir, 
jouant à cache-cache, il s'apprend à jouer à la vraie guerre d'embuscade, 
cette guerre de partisan qui use les armées plus sûrement que vingt 
batailles... 
Le problème se résume ainsi: à la recherche de sensations nouvelles, 
dois-je préférer le rôle de chasseur à celui du gibier? le rôle du policier 
à celui du criminel? Cent autres avant moi se sont faits policiers 
amateurs, mais nul ne s'est essayé dans le rôle du coupable. Je le 
choisis. Sans doute, n'ayant rien à me reprocher, j'en ignorerai les 
angoisses réelles, mais il me restera tous les plaisirs de la ruse. Joueur 
au portefeuille vide, je saurai du moins suivre sur le visage de mon 
partenaire les émotions de la partie. Ne risquant rien, je n'aurai rien à 
perdre, mais, au contraire, tout à gagner. Et si le bienheureux hasard 
veut qu'on m'arrête, journaliste avant tout, je devrai à la police le 
reportage le plus sensationnel qui ait jamais été fait et dont le titre 
pourrait être: 
«SOUVENIRS ET IMPRESSIONS D'ASSASSIN» 
Toutes les portes dont jusqu'ici nul confrère n'a franchi le seuil 
s'ouvriront devant moi. Je connaîtrai la souricière, le panier à salade et 
les menottes. Je pourrai raconter, sans crainte de démenti, ce que vaut 
le régime des prisons, comment y sont traités les prévenus, par quels 
moyens un juge s'efforce d'arracher des aveux. Bref, je prononcerai, s'il 
est besoin, le réquisitoire le plus puissant et le plus juste contre ces 
deux forces redoutables qui se nomment la Police et la Magistrature! 
Une idée suffit à la vie d'un homme. Si je ne deviens pas célèbre après 
celle-là, j'y veux perdre mon nom! Coche, mon ami, à dater de cette 
seconde, pour le monde entier, tu es l'assassin du boulevard Lannes! Le 
prologue est fini. Le premier acte va commencer. Attention! 
 
CHAPITRE II 
29, BOULEVARD LANNES
Onésime Coche jeta un long regard autour de lui, s'assura que les 
rideaux des fenêtres étaient bien fermés, prêta l'oreille afin d'être 
certain que nul ne viendrait le déranger dans sa besogne, puis, rassuré, 
il enleva son pardessus, le déposa sur une chaise    
    
		
	
	
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