avec Flaubert à Croisset. Il travaille décidément 
quatorze heures par jour. Ce n'est plus du travail: c'est la Trappe. La 
princesse lui a écrit de nous, au sujet de notre préface: «Ils ont dit la 
vérité, c'est un crime!» 
* * * * * 
--L'antiquité a peut-être été faite pour être le pain des professeurs. 
* * * * * 
_8 janvier_.--J'ai comme une courbature morale de toute l'occupation 
qu'on a eue de nous. Le bruit à la fin fait trop de bruit. On aspire à du 
silence autour de soi. 
* * * * * 
--Il y a des fortunes qui crient: «Imbécile!» à l'honnête homme.
* * * * * 
--L'imagination du monstre, de l'animalité chimérique, l'art de peindre 
les peurs qui s'approchent de l'homme, le jour, avec le féroce et le 
reptile, la nuit, avec les apparitions troubles; la faculté de figurer et 
d'incarner ces paniques de la vision et de l'illusion, dans des formes et 
des constructions d'êtres membrés, articulés, presque viables--c'est le 
génie du Japon. 
Le Japon a créé et vivifié le Bestiaire de l'hallucination. On croirait voir 
jaillir et s'élancer du cerveau de son art, comme de la caverne du 
cauchemar, un monde de démons-animaux, une création taillée dans la 
turgescence de la difformité, des bêtes ayant la torsion et la convulsion 
de racines de mandragore, l'excroissance des bois noués où le cinips a 
arrêté la sève, des bêtes de confusion et de bâtardise, mélangées de 
saurien et de mammifère, greffant le crapaud au lion, bouturant le 
sphinx au cerbère, des bêtes fourmillantes et larveuses, liquides et 
fluentes, vrillant leur chemin comme le ver de terre, des bêtes crêtées à 
la crinière en broussaille, mâchant une boule avec des yeux ronds au 
bout d'une tige, des bêtes d'épouvante, hérissées et menaçantes, 
flamboyantes dans l'horreur.--dragons et chimères des Apocalypses de 
là-bas. 
Nous Européens et Français, nous ne sommes pas si riches d'invention, 
notre art n'a qu'un monstre, et c'est toujours ce monstre du récit de 
Théramène, qui, dans les tableaux de M. Ingres, menace Angélique de 
sa langue en drap rouge. 
Au Japon, le monstre est partout. C'est le décor et presque le mobilier 
de la maison. Il est la jardinière et le brûle-parfum. Le potier, le 
bronzier, le dessinateur, le brodeur, le sèment autour de la vie de 
chacun. Il grimace, les ongles en colère, sur la robe de chaque saison. 
Pour ce monde de femmes pâles aux paupières fardées, le monstre est 
l'image habituelle, familière, aimée, presque caressante, comme est 
pour nous la statuette d'art sur notre cheminée: et qui sait, si ce peuple 
artiste n'a pas là son idéal? 
* * * * *
--Pourquoi pas un ordre du jour à la Mairie pour les belles actions 
civiles, comme à la caserne pour les actions d'éclat? 
* * * * * 
--L'avarice des gens très riches de ce temps-ci a découvert une jolie 
hypocrisie: la simplicité des goûts. Les millionnaires parlent de la 
jouissance de dîner au bouillon Duval et de porter des sabots à la 
campagne. 
* * * * * 
_10 janvier_--... Sainte-Beuve est bien triste. Il se plaint de souffrances 
intérieures, qu'il exprime par des mouvements de vrille de ses doigts. Il 
a rédigé son testament et il va se faire faire une opération... ajoutant, 
avec un sourire douloureux, que les chirurgiens ont de la répugnance à 
ouvrir sa vieille peau. 
* * * * * 
_15 janvier_.--Dîner Magny. 
Taine proclame que tous les hommes de talent sont des produits de 
leurs milieux. Nous soutenons le contraire. Où trouvez-vous, lui 
disons-nous, la racine de l'exotisme de Chateaubriand: c'est un ananas 
poussé dans une caserne! Gautier vient à notre appui, et soutient pour 
son compte que la cervelle d'un artiste est la même du temps des 
Pharaons que maintenant. Quant aux bourgeois, qu'il appelle des 
_néants fluides_, il se peut que leur cervelle se soit modifiée, mais ça 
n'a pas d'importance. 
* * * * * 
--Se trouver en hiver, dans un endroit ami, entre des murs familiers, au 
milieu de choses habituées au toucher distrait de vos doigts, sur un 
fauteuil fait à votre corps, dans la lumière voilée de la lampe, près de la 
chaleur apaisée d'une cheminée qui a brûlé tout le jour, et causer là, à 
l'heure où l'esprit échappe au travail et se sauve de la journée; causer
avec des personnes sympathiques, avec des hommes, des femmes 
souriant à ce que vous dites; se livrer et se détendre; écouter et répondre; 
donner son attention aux autres ou la leur prendre; les confesser ou se 
raconter; toucher à tout ce qu'atteint la parole; s'amuser du jour présent, 
juger le journal, remuer le passé, comme si l'on tisonnait l'histoire, faire 
jaillir au frottement de la contradiction adoucie d'un: Mon cher, 
l'étincelle, la flamme ou le rire des mots; laisser gaminer    
    
		
	
	
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