Jim lindien | Page 2

Gustave Aimard
avez donc conservé vos vieilles amours pour les sauvages?
-- Parfaitement. Ils ont toujours fait mon admiration, depuis le premier
jour où, dans mon enfance, j’ai dévoré les intéressantes légendes de
Bas-de-Cuir, j’ai toujours eu soif de les voir face à face, dans leur
solitude native, au milieu de calmes montagnes où la nature est sereine,
dans leur pureté de race primitive, exempte du contact des Blancs!
-- Oh ciel! quel enthousiasme! vous ne manquerez pas d’occasions,
soyez-en sûr; vous pourrez rassasier votre «soif» d’hommes rouges!
seulement, permettez-moi de vous dire que ces poétiques visions
s’évanouiront plus promptement que l’écume de ces eaux
bouillonnantes.
L’artiste secoua la tête avec un sourire:
-- Ce sont des sentiments trop profondément enracinés pour disparaître
aussi soudainement. Je vous accorde que, parmi ces gens-là, il peut y
avoir des gredins et des vagabonds; mais n’en trouve-t-on pas chez les
peuples civilisés? Je maintiens et je maintiendrai que, comme race, les
Indiens ont l’âme haute, noble, chevaleresque; ils nous sont même
supérieurs à ce point de vue.
-- Et moi, je maintiens et je maintiendrai qu’ils sont perfides, traîtres,
féroces!... c’est une repoussante population, qui m’inspire plus
d’antipathie que des tigres, des bêtes fauves, que sais-je! vos sauvages

du Minnesota ne valent pas mieux que les autres!
Halleck regarda pendant quelques instants avec un sourire malicieux, sa
charmante interlocutrice qui s’était extraordinairement animée en
finissant.
-- Très bien! Maria, vous connaissez mieux que moi les Indigènes du
Minnesota. Par exemple, j’ose dire que la source où vous avez puisé
vos renseignements laisse quelque chose à désirer sur le chapitre des
informations; vous n’avez entendu que les gens des frontières, les
Borders, qui eux aussi, sont sujets à caution. Si vous vouliez pénétrer
dans les bois, de quelques centaines de milles, vous changeriez bien
d’avis.
-- Ah vraiment! moi, changer d’avis! faire quelques centaines de milles
dans les bois! n’y comptez pas, mon beau cousin! Une seule chose
m’étonne, c’est qu’il y ait des hommes blancs, assez fous pour se
condamner à vivre en de tels pays. Oh! je devine ce qui vous fait rire,
continua la jeune fille en souriant malgré elle; vous vous moquez de ce
que j’ai fait, tout l’été, précisément ce que je condamne. Eh bien! je
vous promets, lorsque je serai revenue chez nous à Cincinnati, cet
automne, que vous ne me reverrez plus traverser le Mississipi. Je ne
serais point sur cette route, si je n’avais promis à l’oncle John de lui
rendre une visite; il est si bon que j’aurais été désolée de le chagriner
par un refus.
«L’oncle John Brainerd» n’était pas, en réalité, parent aux deux jeunes
gens. C’était un ami d’enfance du père de Maria Allondale; et toute la
famille le désignait sous le nom d’oncle.
Après s’être retiré dans la région de Minnesota en 1856, il avait exigé
la promesse formelle, que tous les membres de la maison d’Allondale
viendraient le voir ensemble ou séparément, lorsque son settlement
serait bien établi.
Effectivement, le père, la mère, tous les enfants mariés ou non, avaient
accompli ce gai pèlerinage: seule Maria, la plus jeune, ne s’était point
rendue encore auprès de lui. Or, en juin 1862, M. Allondale l’avait

amenée à Saint-Paul, l’avait embarquée, et avait avisé l’oncle John de
l’envoi du gracieux colis; ce dernier l’attendait, et se proposait de
garder sa gentille nièce tout le reste de l’été.
Tout s’était passé comme on l’avait convenu; la jeune fille avait
heureusement fait le voyage, et avait été reçue à bras ouverts. La saison
s’était écoulée pour elle le plus gracieusement du monde; et, parmi ses
occupations habituelles, une correspondance régulière avec son cousin
Adolphe n’avait pas été la moins agréable.
En effet, elle s’était accoutumée à l’idée de le voir un jour son mari, et
d’ailleurs, une amitié d’enfance les unissait tous deux. Leurs parents
étaient dans le même négoce; les positions des deux familles étaient
également belles; relations, éducation, fortune, tout concourait à faire
présager leur union future, comme heureuse et bien assortie.
Adolphe Halleck avait pris ses grades à Yale, car il avait été
primitivement destiné à l’étude des lois. Mais, en quittant les bancs, il
se sentit entraîné par un goût passionné pour les beaux-arts, en même
temps qu’il éprouvait un profond dégoût pour les grimoires judiciaires.
Pendant son séjour au collège, sa grande occupation avait été de faire
des charges, des pochades, des caricatures si drolatiques que leur envoi
dans sa famille avait obtenu un succès de rire inextinguible;
naturellement son père devint fier d’un tel fils; l’orgueil paternel se
communiqua au jeune homme; il fut proposé par lui, et décrété par
toute la parenté qu’il serait artiste; on ne lui demanda qu’une chose: de
devenir un grand homme.
Lorsque la guerre abolitionniste éclata, le jeune Halleck bondit de joie,
et, à force de
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