Jeanne la Fileuse | Page 3

Honoré Beaugrand
l'��l��gance, car ses gu��tres brod��es de graines de verroterie multicolore d��montraient qu'une main de femme avait pass�� par l��. D'une figure mobile et passionn��e, il ��tait facile de voir, dans tous ses mouvements, la sup��riorit�� de l'intelligence et l'habitude du commandement.
Ses compagnons, v��tus de vareuses en flanelle rouge ou bleue, portaient de larges ceinturons en cuir, o�� brillait l'ins��parable couteau du voyageur canadien.
Le jeune homme s'adressant �� celui qui, �� l'avant du canot, semblait en servir de guide.
--Oh��! Hervieux chante nous donc un de tes vieux refrains de chantier; nous t'aiderons en choeur, et la route nous semblera moins longue.
--Oui, oui! une chanson, Hervieux, r��p��t��rent �� l'unisson les autres voyageurs.
L'individu �� qui s'adressaient ces paroles, se redressa avec un certain orgueil, et d��posant avec soin, une vieille pipe culott��e au fond du canot, il entonna d'une voie de stentor les couplets suivants dont ses compagnons redirent le refrain:
Mon p��re n'avait fille que moi, Canot d'��corce qui va voler. Et dessus la mer il m'envoie; Canot d'��corce qui vole, qui vole, Canot d'��corce qui va voler.
Et dessus la mer il m'envoie, Canot d'��corce qui va voler. Le marinier qui me menait; Canot d'��corce qui vole, qui vole, Canot d'��corce qui va voler.
Le marinier qui me menait, Canot d'��corce qui va voler. Me dit ma belle embrassez-moi Canot d'��corce qui vole, qui vole, Canot d'��corce qui va voler.
Me dit ma belle embrassez-moi, Canot d'��corce qui va voler. Non, non, Monsieur, je ne saurais; Canot d'��corce qui vole, qui vole, Canot d'��corce qui va voler.
Non, non, monsieur, je ne saurais, Canot d'��corce qui va voler. Car si mon papa le savait; Canot d'��corce qui vole, qui vole, Canot d'��corce qui va voler.
Car si mon papa le savait, Canot d'��corce qui va voler. C'est bien s?r qu'il me battrait Canot d'��corce qui vole, qui vole, Canot d'��corce qui va voler.
Les ��chos du rivage r��p��taient la sauvage m��lodie de ce chant primitif et les fermi��res abandonnaient pour un instant les travaux du m��nage, pour ��couter le chant des ?voyageurs?. Les enfants suspendaient leurs jeux, et les jeunes filles joignaient leurs voix cristallines au refrain qui leur arrivait port�� par la brise du soir.
Le canot glissa plus vite sur la surface polie du Saint-Laurent et se trouva bient?t en face du village de Lavaltrie. Apr��s avoir mis leur embarcation en s?ret��, les voyageurs se dirig��rent vers les lumi��res qui brillaient �� travers les sapins, car il commen?ait �� faire nuit.

II
Les voyageurs
Au fond de la for��t on entend de la hache Les coups retentissants, sinistres, r��guliers, Puis on entend g��mir le grand pin qui s'arrache, Et tombe en ��crasant un rival �� ses pieds.
(L'Hiver, L.-P. LeMay.)
[L��on-Pamphile LeMay, L'Hiver (2e strophe), dans les Essais po��tiques, Qu��bec, Desbarats, 1865.]
Vous souvient-il, lecteur, des ?voyageurs? du bon vieux temps?
De ce temps, o�� nos p��res et nos grands-p��res partaient chaque automne, aussi r��guli��rement que l'hirondelle voyageuse, pour aller s'enfoncer dans les for��ts vierges de l'Outaouais et de la Gatineau.
Le type du voyageur{1} ��tait si bien dessin�� et ses excentricit��s en ��taient si bizarres, qu'il nous semble que c'��tait hier.
Chaque village, sur le littoral du Saint-Laurent, depuis Montr��al jusqu'�� Qu��bec, fournissait son contingent annuel �� la brigade ?des gens d'en haut?.
On partait vers la mi-septembre en canot d'��corce; on remontait le fleuve en chantant gaiement, les refrains sur l'aviron. �� Montr��al, on achetait les haches de chantier et on prenait une ?f��te? avant de mettre la proue vers ?Bytown?, o�� se trouvait alors le rendez-vous des bons vivants:
�� Bytown, c'est une jolie place, Mais il y a beaucoup de crasse Il y a des jolies filles Et aussi des polissons, Dans les chantiers nous hivernerons, Dans les chantiers nous hivernerons.
Le premier soin, en arrivant �� la future capitale du Canada, ��tait d'aller faire son engagement pour l'hiver, et de retirer une avance de gages qui ��tait ordinairement sacrifi��e �� Bacchus. Nos p��res qui ne se piquaient pas de conna?tre leur mythologie, disaient �� ?Molson?. Et Dieu sait, s'ils le patronnaient, ce c��l��bre distillateur �� la r��putation ��minemment franco-canadienne.
On reprenait alors, le gousset vide et le coeur l��ger, la route des chantiers. On y arrivait entre la mi-octobre et le premier novembre. Le premier soin ��tait de choisir au milieu d'une for��t d'arbres deux ou trois fois centenaires, un lieu propice �� batir une rude cabane en ?plan?ons?, qui ��tait g��n��ralement connue sous le nom de chantier.
Le ?cook?--cuisinier--y installait ses marmites.
Chacun voyait �� s'y ��tablir aussi confortablement que possible, et le jour suivant, on entendait r��sonner la hache qui abattait sans piti�� les souverains de ces for��ts immenses.
Apr��s des journ��es d'un travail presque surhumain et inconnu aujourd'hui, on s'assemblait au coin de l'atre et chacun y racontait ses aventures plus ou moins... v��ridiques.
La bouteille faisait sa ronde habituelle et une ?complainte? finissait ordinairement la soir��e.
On dormait sans soucis, et quelquefois en r��vant �� la
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