Jacques | Page 2

George Sand
sais que M. Borel ��tait colonel de lanciers _du temps de l'autre_, comme disent nos paysans. Sa femme n'a jamais voulu le contrarier en rien, et, quoiqu'elle d��testat l'odeur du tabac, elle a dissimul�� sa r��pugnance, et peu �� peu s'est habitu��e �� la supporter. C'est un exemple dont je n'aurai pas besoin de m'encourager pour ��tre complaisante envers mon mari. Je n'ai aucun d��plaisir �� sentir cette odeur de pipe. Eug��nie autorise donc M. Borel et tous ses amis �� fumer au jardin, au salon, partout o�� bon leur semble; elle a bien raison. Les femmes ont le talent de se rendre incommodes et d��plaisantes aux hommes qui les aiment le plus, faute d'un tr��s-l��ger effort sur elles-m��mes pour se ranger �� leurs go?ts et �� leurs habitudes. Elles leur imposent au contraire mille petits sacrifices qui sont autant de coups d'��pingle dans le bonheur domestique, et qui leur rendent insupportable peu �� peu la vie de famille... Oh! mais je te vois d'ici rire aux ��clats et admirer mes sentences et mes bonnes dispositions. Que veux-tu? je me sens en humeur d'approuver tout ce qui plaira �� Jacques, et si l'avenir justifie tes m��chantes pr��dictions, si un jour je dois cesser d'aimer en lui tout ce qui me pla?t aujourd'hui, du moins j'aurai go?t�� la lune de miel.
Cette mani��re d'��tre des Borel scandalise horriblement toutes les b��gueules du canton. Eug��nie s'en moque avec d'autant plus de raison qu'elle est heureuse, aim��e de son mari, entour��e d'amis d��vou��s, et riche par-dessus le march��, ce qui lui attire encore de temps en temps la visite des plus tiers l��gitimistes. Ma m��re elle-m��me a sacrifi�� �� cette consid��ration? comme elle y sacrifie aujourd'hui �� l'��gard de Jacques, et c'est chez madame Borel qu'elle a ��t�� flairer et chercher la piste d'un mari pour sa pauvre fille sans dot.
Allons! voil�� que, malgr�� moi, je me mets encore �� tourner ma m��re en ridicule. Ah! je suis encore trop pensionnaire. Il faudra que Jacques me corrige de cela, lui qui ne rit pas tous les jours. En attendant, tu devrais me gronder, au lieu de me seconder comme tu fais, vilaine!
Je te disais donc que j'avais vu Jacques l�� pour la premi��re fois. Il y avait quinze jours qu'on ne parlait pas d'autre chose, chez les Borel, que de la prochaine arriv��e du capitaine Jacques, un officier retir�� du service, h��ritier d'un million. Ma m��re ouvrait des yeux grands comme des fen��tres et des oreilles grandes comme des portes, pour aspirer le son et la vue de ce beau million. Pour moi, cela m'aurait donn�� une forte pr��vention contre Jacques, sans les choses extraordinaires que disaient Eug��nie et son mari. Il n'��tait question que de sa bravoure, de sa g��n��rosit��, de sa bont��. Il est vrai qu'on lui attribue aussi quelques singularit��s. Je n'ai jamais pu obtenir d'explication satisfaisante �� cet ��gard, et je cherche en vain dans son caract��re et dans ses mani��res ce qui peut avoir donn�� lieu �� cette opinion. Un soir de cet ��t��, nous entrons chez Eug��nie; je crois bien que ma m��re avait saisi dans l'air quelque nouvelle de l'arriv��e du parti. Eug��nie et son mari ��taient venus �� notre rencontre du c?t�� de la cour. On nous fait asseoir dans le salon; j'��tais pr��s de la fen��tre au rez-de-chauss��e, et il y avait devant moi un rideau entr'ouvert. ?Et votre ami, est-il arriv�� enfin? dit ma m��re au bout de trois minutes. --Ce matin, dit M. Borel d'un air joyeux.--Ah! je vous en f��licite, et j'en suis charm��e pour vous, reprend ma m��re. Est-ce que nous ne le verrons pas?--Il s'est sauv�� avec sa pipe en vous entendant venir, r��pond Eug��nie; mais il reviendra certainement.--Oh! peut-��tre que non, lui dit son mari; il est sauvage comme l'_habitant de l'Or��noque_ (tu sauras que c'est une des fac��ties favorites de M. Borel), et je n'ai pas eu encore le temps de lui dire que je voulais le pr��senter �� deux belles dames. Il faudrait voir s'il ne s'en va pas promener trop loin, Eug��nie, et le faire avertir.? Pendant ce temps-l�� je ne disais rien, mais je voyais tr��s-bien M. Jacques par la fente du rideau. Il ��tait assis �� dix pas de la maison, sur des gradins de pierre o�� Eug��nie fait ranger au printemps les beaux vases de fleur? de sa serre chaude. Il me parut, au premier coup d'oeil, avoir vingt-cinq ans tout au plus, quoiqu'il en ait au moins trente. Il n'est pas de figure plus belle, plus r��guli��re et plus noble que celle de Jacques. Il est plut?t petit que grand, et semble tr��s-d��licat, quoiqu'il assure ��tre d'une forte sant��; il est constamment pale, et ses cheveux d'un noir d'��b��ne, qu'il porte tr��s-longs, le font para?tre plus pale et plus maigre encore. Il
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