le moment était favorable pour mettre Carmelita en avant et 
la présenter comme une consolatrice. 
Alors la maladie de la comtesse Belmonte n'était qu'un prétexte pour 
expliquer ce voyage. 
Il faut dire que le colonel n'était nullement disposé à l'infatuation, et 
que de lui-même il n'eût très probablement jamais imaginé qu'on 
pouvait courir après lui pour le marier avec une jolie fille. Mais 
madame de Lucillière lui avait si souvent parlé de ce projet du prince, 
que le souvenir de ces paroles ne pouvait pas ne pas l'inquiéter en 
présence d'une arrivée si étrange. 
En tout cas, il n'y avait pour lui qu'une chose à faire. 
Quitter le Glion. 
Lorsqu'il monta à sa chambre, il ouvrit sa porte avec précaution et il 
marchait doucement en évitant de faire du bruit, de peur de déranger
ses voisines, lorsqu'il entendit frapper quelques petits coups à la 
cloison. 
En même temps, une voix,--celle de Carmelita,--l'appela. 
--Colonel, c'est vous, n'est-ce pas! 
On parlait contre la porte qui mettait les deux chambres en 
communication intérieure et qui, alors qu'il occupait ces deux chambres, 
restait toujours ouverte. 
--Oui, c'est moi, dit-il. 
--Je vous ai bien reconnu aux précautions que vous preniez pour ne pas 
faire de bruit; ne vous gênez pas, je vous prie. C'est moi qui suis votre 
voisine. J'ai le sommeil bon; quand je dors, rien ne me réveille. 
Bonsoir. 
--Bonsoir. 
Comment? il serait exposé tous les soirs à des dialogues de ce genre; à 
chaque instant dans le jour, il verrait Carmelita! Ah! certes non, et le 
lendemain il quitterait le Glion. 
Le lendemain matin, comme il sortait de sa chambre, il trouva dans le 
vestibule le prince Mazzazoli qui se promenait en long et en large. 
--Auriez-vous deux minutes à me donner? demanda-t-il en serrant la 
main du colonel. 
--Mais tout ce que vous voudrez. 
--Connaissez-vous Champéry? j'entends, y êtes-vous allé? 
--Non. 
--Et les Diablerets? 
--Je n'y suis pas allé non plus.
--Et le val d'Anniviers? 
--Je ne le connais que par les livres. 
--Voilà qui est fâcheux. J'avais compté sur vous pour me tirer 
d'embarras: les livres, les guides, c'est parfait, mais dans notre situation 
ce n'est pas suffisant. 
--Et que vous importe Champéry ou le val d'Anniviers? 
--Il faut être franc, n'est-ce pas? D'ailleurs je voudrais ne pas l'être, que 
cela me serait impossible. Je vous demande des renseignements sur 
Champéry et les Diablerets, parce que mon intention est d'aller aux 
Diablerets, ou à Champéry, ou au val d'Anniviers, enfin dans un pays 
où ma pauvre soeur trouvera les conditions atmosphériques qui sont 
ordonnées; et si je choisis ces pays, c'est parce qu'ils ne sont qu'à une 
courte distance du Glion. 
--Mais le Glion lui-même? 
--J'avais choisi le Glion, parce que je le connaissais et que je savais que 
c'était la station par excellence pour ma malheureuse soeur. Mais nous 
ne pouvons pas rester au Glion. Vous m'avez demandé d'être franc, je 
veux l'être jusqu'au bout. Avec une bonne grâce parfaite, avec un élan 
spontané, vous avez voulu nous céder vos chambres; mais il est bien 
évident que notre présence vous gêne. 
--Comment pouvez-vous penser? 
--Je ne pense pas, je suis certain. Pour des raisons que je n'ai pas à 
examiner, vous désirez être seul; notre voisinage vous incommode et 
vous trouble. Alors vous partez. Eh bien, mon cher colonel, cela ne doit 
pas être. Ce n'est pas à vous de partir, c'est à nous de vous céder la 
place. 
--Permettez.... 
--Je vous en prie, laissez-moi achever. Nous sommes ici dans des
conditions tout à fait particulières. Si vous n'aviez pas habité cet hôtel, 
nous n'aurions pas pu nous y faire recevoir. Nous ne sommes donc ici 
que par vous, par votre complaisance. Eh bien, mon cher colonel, il 
serait tout à fait absurde que vous fussiez victime de votre 
complaisance. Nous vous gênons; vous désirez la solitude, que vous ne 
pouvez plus trouver, nous ayant pour voisins. Nous nous en allons: rien 
n'est plus simple, rien n'est plus juste. Voilà pourquoi je vous 
demandais des renseignements sur les hôtels des environs, pensant que 
vous les connaissiez et ne voulant pas me lancer à l'aventure avec une 
malade. 
--Jamais je n'accepterai ce départ. 
--Et moi, jamais je n'accepterai le vôtre. 
--Mon intention n'était pas de rester au Glion. 
--Elle n'était pas non plus d'en partir aujourd'hui. De cela, je suis bien 
certain; j'ai interrogé Horace, qui ne savait rien, et qui assurément eût 
été prévenu si votre départ avait été arrêté avant notre arrivée. 
Le colonel demeura assez embarrassé. Il ne lui convenait pas en effet 
de reconnaître qu'il quittait l'hôtel pour fuir la présence du prince et de 
Carmelita: c'était là une grossièreté qui n'était pas dans ses habitudes, 
ou bien c'était avouer sa faiblesse pour madame de Lucillière, ce qui le 
blessait dans sa pudeur d'amant malheureux. 
--Devant partir un jour    
    
		
	
	
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