vint pas dans l'idée de le contredire, quoique 
j'eusse dès lors par éducation, peut-être autant que par nature, 
l'outrecuidance en horreur. Mais Horace avait cela de particulier, qu'en 
le voyant et en l'écoutant, on était sous le charme de sa parole et de son 
geste. Quand on le quittait, on s'étonnait de ne pas lui avoir démontré 
son erreur; mais quand on le retrouvait, on subissait de nouveau le 
magnétisme de son paradoxe. 
Je me séparai de lui ce jour-là, très-frappé de son originalité, et me 
demandant si c'était un fou ou un grand homme. Je penchais pour la
dernière opinion. 
«Puisque vous aimez tant les révolutions, lui dis-je le lendemain, vous 
avez dû vous battre, l'an dernier, aux journées de Juillet? 
--Hélas! j'étais en vacances, me répondit-il; mais là aussi, dans ma 
petite province, j'ai agi, et si je n'ai pas couru de dangers, ce n'est pas 
ma faute. J'ai été de ceux qui se sont organisés en garde urbaine 
volontaire, et qui ont veillé au maintien de la conquête. Nous passions 
des nuits de faction, le fusil sur l'épaule, et si l'ancien système eût lutté, 
s'il eût envoyé de la troupe contre nous comme nous nous y attendions, 
je me flatte que nous nous serions mieux conduits que tous ces vieux 
épiciers qui ont été ensuite admis à faire partie de la garde nationale, 
lorsque le gouvernement l'a organisée. Ceux-là n'avaient pas bougé de 
leurs boutiques lorsque l'événement était encore incertain, et c'est nous 
qui faisions la ronde autour de la ville, pour les préserver d'une réaction 
du dehors. Quinze jours après, lorsque le danger fut éloigné, ils nous 
auraient passé leurs baïonnettes au travers du corps, si nous eussions 
crié: Vive la liberté!» 
Ce jour-là, ayant causé assez longtemps avec lui, je lui proposai de 
rester avec moi jusqu'à l'heure du dîner, et ensuite de venir dîner rue de 
l'Ancienne-Comédie, chez Pinson, le plus honnête et le plus affable des 
restaurateurs du quartier latin. 
Je le traitai de mon mieux, et il est certain que la cuisine de M. Pinson 
est excellente, très-saine et à bon marché: son petit restaurant est le 
rendez-vous des jeunes aspirants à la gloire littéraire et des étudiants 
rangés. Depuis que son collègue et rival Dagnaux, officier de la garde 
nationale équestre, avait fait des prodiges de valeur dans les émeutes, 
toute une phalange d'étudiants, ses habitués, avait juré de ne plus 
franchir le seuil de ses domaines, et s'était rejetée sur les côtelettes plus 
larges et les biftecks plus épais du pacifique et bienveillant Pinson. 
Après dîner, nous allâmes à l'Odéon, voir madame Dorval et Lockroy, 
dans Antony. De ce jour, la connaissance fut faite, et l'amitié nouée 
complètement entre Horace et moi.
«Ainsi, lui disais-je dans un entr'acte, vous trouvez l'étude de la 
médecine encore plus repoussante que celle du droit? 
--Mon cher, répondit-il, je vous avoue que je ne comprends rien à votre 
vocation. Se peut-il que vous puissiez plonger chaque jour vos mains, 
vos regards et votre esprit dans celle boue humaine, sans perdre tout 
sentiment de poésie et toute fraîcheur d'imagination? 
--Il y a quelque chose de pis que de disséquer les morts, lui dis-je, c'est 
d'opérer les vivants: là, il faut plus de courage et de résolution, je vous 
assure. L'aspect du plus hideux cadavre fait moins de mal que le 
premier cri de douleur arraché à un pauvre enfant qui ne comprend rien 
au mal que vous lui faites. C'est un métier de boucher, si ce n'est pas 
une mission d'apôtre. 
--On dit que le coeur se dessèche à ce métier-là, reprit Horace; ne 
craignez-vous pas de vous passionner pour la science au point d'oublier 
l'humanité, comme ont fait tous ces grands anatomistes que l'on vante, 
et dont je détourne les yeux comme si je rencontrais le bourreau? 
--J'espère, répondis-je, arriver juste au degré de sang-froid nécessaire 
pour être utile, sans perdre le sentiment de la pitié et de la sympathie 
humaine. Pour arriver au calme indispensable, j'ai encore du chemin à 
faire, et je ne crois pas, d'ailleurs, que le coeur s'endurcisse. 
--C'est possible, mais enfin, les sens s'énervent, l'imagination se détend, 
le sentiment du beau et du laid se perd; on ne voit plus de la vie qu'un 
certain côté matériel où tout l'idéal arrive à l'idée d'utilité. Avez-vous 
jamais connu un médecin poëte? 
--Je pourrais vous demander également si vous connaissez beaucoup de 
députés poëtes? Il ne me semble pas que la carrière politique, telle que 
je l'envisage de nos jours, soit propre à conserver la fraîcheur de 
l'imagination et le fragile coloris de la poésie. 
--Si la société était réformée, s'écria Horace, cette carrière pourrait être 
le plus beau développement pour la vigueur du cerveau et la sensibilité 
du coeur; mais il est certain que la route tracée aujourd'hui est
desséchante. Quand je songe    
    
		
	
	
	Continue reading on your phone by scaning this QR Code
	 	
	
	
	    Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the 
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.