Histore de la République de Gênes | Page 8

Émile Vincens
peine d'une amende de mille livres d'or, applicable par moitié au trésor royal de Pavie et aux habitants de Gênes. Or, un tel décret nous montre les Génois encore dans la simple condition de sujets; pure sauvegarde de propriétés privées et de biens ruraux, il exclut toute idée de domaine public, de droits politiques reconnus ni concédés; il n'accorde aucun privilège. Si la commune avait ses magistrats, on n'a pas même daigné en faire mention. En un mot, rien ne laisse supposer ici ni la consistance ni la forme d'un état; cette prétendue charte de franchise est un témoignage de sujétion. Il n'est pas rare, il est vrai, que des dipl?mes, écrits dans le style magnifique de la domination suprême, aient été interprétés chez ceux qui les avaient obtenus, dans un sens beaucoup plus large que le sens littéral. Quelquefois avec le temps, ils ont produit ce qu'ils ne donnaient pas; des confirmations sérieuses sont intervenues sur des concessions qui n'avaient pas encore existé.
Les expéditions maritimes auxquelles les Génois se livrèrent dans le onzième siècle prouvent du moins qu'alors laissés à eux-mêmes, ils agissaient comme un peuple indépendant. Isolés et sans force pour s'agrandir autour d'eux, ils n'avaient d? attendre que de la mer leurs ressources et toutes leurs espérances d'acquérir. De bonne heure cette position et la nécessité les accoutumèrent à la navigation. A toutes les époques on les retrouve sur la mer Méditerranée, bravant les orages et l'ennemi, pourvu que le péril d?t être suivi de quelque profit; sobres comme les habitants d'un sol pauvre et stérile, habiles à la manoeuvre, hardis à la course, prompts à l'abordage et ne craignant pas plus d'aller à la rencontre du danger qu'à la recherche du gain.
Afin d'écarter plus s?rement les attaques des pirates sarrasins, les Génois coururent souvent au-devant d'eux pour les attaquer dans leurs repaires ou pour les détruire sur la mer. Dans ces occasions toute la population valide s'embarquait. Sur cela se fonde une tradition qui, en 936, fait saccager par les Mores la ville où il ne restait que les vieillards, les femmes et les enfants, tandis que les hommes adultes étaient en course. Témoins en abordant à leur retour des ravages soufferts en leur absence, on dit qu'ils tournèrent la proue, volèrent après l'ennemi, l'atteignirent dans une ?le voisine de la Sardaigne, le défirent et ramenèrent à Gênes le butin repris, et leurs familles délivrées de l'esclavage13.
Bient?t de cet exercice de leur unique force naquit l'ambition de se rendre considérables. Ils entrevirent des conquêtes moins difficiles au loin que l'occupation du moindre village à leurs portes. Ils se sentirent sur la mer une énergie qui contrastait avec leur faiblesse au dedans; et, pour prendre rang parmi les cités prépondérantes de l'Italie, ils durent compter sur la terreur de leurs flottes et sur le bruit de leurs exploits au dehors.
C'est encore la guerre perpétuelle des Sarrasins qui amena les premières occasions où les Génois furent en contact avec des émules, et entrèrent dans le champ des intrigues et des jalousies de la politique extérieure. Les Pisans, avec les mêmes avantages sur la mer, les avaient devancés en forces et en crédit. Ce furent leurs premiers rivaux. Ceux-ci avaient déjà entrepris de chasser les Mores établis en Sardaigne, dangereux voisins pour un peuple navigateur. Un prince arabe nommé Muzet ou Muza, que les annalistes font aussi roi de Majorque, y dominait, et de là mena?ait le Tibre et l'Arno. Les papes s'en effrayaient et s'indignaient qu'une ?le chrétienne si proche de l'Italie dev?nt la forteresse des ennemis de la foi. Les Pisans, suscités par Jean XVII (1004), attaquèrent Muza plusieurs fois et avec des succès divers14; mais la domination du More s'affermissait de plus en plus. Beno?t VIII s'adressa aux Génois, enfants respectueux et dévoués de l'église. Il les engagea dans un traité d'alliance avec les Pisans, à qui ils servirent d'auxiliaires. L'expédition combinée réussit, l'?le fut occupée par les assaillants; Muza fut mis en fuite. Mais alors se manifesta entre les deux peuples une jalousie, premier germe de plusieurs siècles de haines constantes et de fréquentes hostilités. Suivant la relation assez vraisemblable des Pisans, ceux-ci, en vertu d'un traité fait au départ (1015 à 1022), devaient garder pour eux le territoire qu'on allait conquérir. Mais les Génois qui s'étaient contentés de se réserver une part dans le butin, après l'ample partage de ces richesses, ne voulurent plus s'en tenir au traité, ils prétendirent se faire des établissements dans l'?le, et les alliés en vinrent aux mains. Pendant cette querelle qui dura quelques années, Muza reparut et vint à bout d'expulser les deux parties contendantes. Le malheur, l'intérêt commun, les instances du pape, l'intervention même des empereurs, à ce qu'on assure, réunirent encore une fois ces rivaux. Dans les montagnes qui communiquent de Gênes à la Toscane, étaient
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