Histoire fantastique du célèbre Pierrot | Page 2

Alfred Assollant
la chiromancie, la magie, la météorologie, la dialectique, la
sophistique, la clinique et l'hydrostatique; tu as lu tous les philosophes et tu pourrais
réciter tous les poëtes; tu cours comme une locomotive et tu as les poignets si forts et si
bien attachés, que tu pourrais porter, à bras tendu, une échelle au sommet de laquelle
serait un homme qui tiendrait lui-même la cathédrale de Strasbourg en équilibre sur le
bout de son nez. Tu as bonnes dents, bon pied, bon oeil. Quel métier veux-tu faire?
--Je veux être soldat, dit Pierrot; je veux aller à la guerre, tuer beaucoup d'ennemis,
devenir un grand capitaine et acquérir une gloire immortelle qui fera parler de moi in
soecula soeculorum.
--Amen, dit la fée en riant. Tu es jeune encore, tu as du temps à perdre. J'y consens; mais
s'il t'arrive quelque accident, ne me le reproche pas.... Ces enfants des hommes,
ajouta-t-elle plus bas et comme se parlant à elle-même, se ressemblent tous, et le plus
sensé d'entre eux mourra sans avoir eu plus de bon sens que son grand-père Adam quand
il sortit du paradis terrestre.
Pierrot avait bien entendu l'aparté, mais il n'en fit pas semblant. «Il n'y a pire sourd, dit le
proverbe, que celui qui ne veut pas entendre.» Ses yeux étaient éblouis des splendeurs de
l'uniforme, des épaulettes d'or, des pantalons rouges, des tuniques bleues, des croix qui

brillent sur les poitrines des officiers supérieurs. Le sabre qui pend à leur ceinture lui
parut le plus bel instrument et le plus utile qu'eût jamais inventé le génie de l'homme.
Quant au cheval, et tous mes lecteurs me comprendront sans peine, c'était le rêve de
l'ambitieux Pierrot.
--Il est glorieux d'être fantassin, disait-il; mais il est divin d'être cavalier. Si j'étais Dieu,
je dînerais à cheval.
Son rêve était plus près de la réalité qu'il ne le croyait.
--Embrasse ton père et ta mère, dit la fée, et partons.
--Où donc allons-nous? dit Pierrot.
--A la gloire, puisque tu le veux; et prenons garde de ne pas nous rompre le cou, la route
est difficile.
Qui pourrait dire la douleur de la pauvre meunière quand elle apprit le projet de Pierrot?
--Hélas! dit-elle, je t'ai nourri de mon lait, réchauffé de mes caresses et de mes baisers,
élevé, instruit, pour que tu te fasses tuer au service du roi! Quel besoin as-tu d'être soldat,
malheureux Pierrot? Te manque-t-il quelque chose ici? Ce que tu as voulu, en tout temps,
ne l'avons-nous pas fait? Ne te l'avons-nous pas donné? Pierrot, je t'en supplie, ne me
donne pas la douleur de te voir un jour rapporté ici mort ou estropié. Que ferions-nous
alors? Que fera ton père, dont le bras se fatigue et ne peut plus travailler? Comment et de
quoi vivrons-nous?
--Pardonne-moi, pauvre mère, dit l'entêté Pierrot, c'est ma vocation. Je le sens, je suis né
pour la guerre.
Ici la mère se mit à pleurer. Le meunier, qui n'avait encore rien dit, rompit le silence:
--Tu peux t'en aller, Pierrot, si tu sens que c'est ta vocation, quoique ce soit une vocation
singulière que celle de couper la tête à un homme, ou de lui fendre le ventre d'un coup de
sabre et de répandre à terre ses entrailles. La voix des parents n'a appris, n'apprend et
n'apprendra jamais rien aux enfants. Ils ne croient que l'expérience! Va donc, et tâche
d'acquérir cette expérience au meilleur marché possible.
--Mais, dit Pierrot, ne faut-il pas combattre pour sa patrie?
--Quand la patrie est attaquée, dit le meunier, il faut que les enfants courent à l'ennemi et
que les pères leur montrent le chemin; mais il n'y a aucun danger, mon pauvre Pierrot, tu
le sais bien: nous sommes en paix avec tout le monde.
--Mais....
--Encore un mais! Va! pars! lui dit son père en l'embrassant.

Pierrot partit fort chagrin, mais obstiné dans sa résolution. Si la bonne fée avait pitié de la
douleur de ses parents, elle savait fort bien qu'un peu d'expérience était nécessaire pour
rabattre la présomption de Pierrot, et elle avait confiance dans l'avenir.
Ils marchèrent longtemps côte à côte sans rien dire. Enfin, après plusieurs jours, ils
arrivèrent dans le palais du roi. Là, Pierrot fut si ébloui des colonnes de marbre, des
grilles en fer doré, des gardes chamarrés d'or, et des cavaliers qui couraient au galop le
sabre en main, à travers la foule, pour annoncer le passage de Sa Majesté, qu'il oublia
complétement les remontrances de ses parents.
Comme il regardait, bouche béante, un spectacle si nouveau, le roi passa en carrosse,
précédé et suivi d'une nombreuse escorte. Il était midi moins cinq minutes, et la famille
royale, au retour de la promenade, allait dîner. Aussi le cocher paraissait fort pressé, dans
la crainte de faire attendre Sa Majesté. Tout à coup
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