Histoire des plus célèbres amateurs italiens et de leurs relations avec les artistes | Page 2

Jules Dumesnil
à
son ami, M. de Chantelou, il lui disait: «Les oeuvres èsquelles il y a de
la perfection ne se doivent pas voir à la hâte, mais avec temps,
jugement et intelligence; il faut user des mêmes moyens à les bien juger
comme à les bien faire[1].» Ailleurs il ajoute: «Le bien juger est
très-difficile, si l'on n'a en cet art, grande théorie et pratique jointes
ensemble: nos appétits n'en doivent pas juger seulement, mais la
raison[2].» Le véritable amateur est donc celui qui joint, à l'amour de
l'art, le jugement et l'intelligence.
[Note 1: Recueil des lettres du Poussin.--Lettre du 20 mars 1642, p.
75.]
[Note 2: Id.--Lettre du 24 novembre 1647, p. 275.]
Telles sont les qualités qu'ont possédées, à un degré remarquable, le
comte Balthasar Castiglione, Pietro Aretino, Don Ferrante Carlo, et le
Commandeur Cassiano del Pozzo, dont nous avons cherché à apprécier
l'influence sur les artistes de leur temps.
Si nous avons choisi ces quatre personnages, ce n'est pas, assurément,
qu'ils soient les seuls que l'Italie puisse revendiquer comme de
véritables dilettanti. Dans ce beau pays, où les arts ont brillé pendant

longtemps d'un si vif éclat, il serait facile de citer un très-grand nombre
d'autres excellents connaisseurs, surtout parmi les membres du clergé,
particulièrement parmi les prélats, les évêques et les cardinaux. Mais il
n'en est aucun qui ait exercé autant d'influence sur les artistes que ceux
auxquels nous nous sommes déterminé à consacrer plus spécialement
nos recherches. Chacun d'eux a été, de son temps, en relations suivies,
pendant un très-grand nombre d'années, avec les principaux maîtres; et
si leur amitié a été recherchée par les artistes, c'est qu'à l'amour et à
l'intelligence du beau, ils joignaient la bienveillance, le désir d'obliger
avec discrétion, et toutes les autres qualités qui appellent la confiance et
qui font le charme de l'intimité.
Un autre motif nous a engagé à étudier la vie et l'influence de ces
quatre personnages; c'est que chacun d'eux se rattache à l'histoire d'une
école différente: Balthasar Castiglione à l'école romaine, Pietro Aretino
à l'école vénitienne, Don Ferrante Carlo à celle de Bologne, et le
Commandeur au plus grand artiste français, Nicolas Poussin, que
l'Italie n'admire pas moins que la France.
En racontant la vie de Balthasar Castiglione et l'amitié qui l'unissait à
Raphaël, il nous aurait été impossible de ne pas parler d'Agostino Chigi,
le riche banquier Siennois, l'un des hommes qui ont le plus contribué à
procurer au Sanzio les occasions d'exercer son génie. De même, la
biographie du commandeur Cassiano del Pozzo se mêle à celle de Paul
Fréart, sieur de Chantelou; puisque ces deux illustres amateurs étaient
liés au même degré avec notre Poussin, qui était comme leur centre
commun d'attraction. Nous avons donc cru ne pas pouvoir séparer
Agostino Chigi de Balthasar Castiglione et de Raphaël, pas plus que M.
de Chantelou du Commandeur del Pozzo et du Poussin.
Les détails donnés sur M. de Chantelou serviront, d'ailleurs, de
transition naturelle à la suite que nous nous proposons de publier sur les
amateurs français.
Ce premier volume est le résultat de plusieurs années d'études et de
recherches, tant en France qu'en Italie. On trouvera peut-être qu'il
renferme un trop grand nombre de citations et de traductions: j'aurais
désiré pouvoir m'effacer plus complètement encore, et laisser

entièrement les artistes se faire connaître par eux-mêmes. Je n'ai pas la
prétention d'apprendre quoi que ce soit à ceux qui savent; j'ai voulu
seulement épargner aux artistes, qui me feront l'honneur de lire cet
ouvrage, des recherches qui font perdre beaucoup de temps, et qui sont
souvent incompatibles avec le courant de leurs occupations.
En terminant, qu'il me soit permis de témoigner publiquement ma
reconnaissance à M. Le Go, secrétaire, depuis près de vingt années, de
l'Académie de France à Rome, possesseur d'une admirable bibliothèque
sur les arts, formée par ses soins, qu'il a bien voulu mettre à ma
disposition; à M. Cailloué, fixé à Rome depuis longtemps par son goût
pour les arts, et qui s'est acquis dans la statuaire une réputation
justement méritée; à MM. Paul et Raymond Balze et Michel Dumas,
élèves de M. Ingres, ainsi qu'à MM. Matout, Français, Célestin
Nanteuil, Lebouys et Troyon, pour les excellents conseils et les
encouragements qu'ils ont bien voulu me donner.

LE COMTE BALTHASAR CASTIGLIONE
* * * * * De tous les amateurs célèbres qui vécurent sous les pontificats
de Jules II et de Léon X, il n'en est aucun qui exerça une plus grande
influence sur l'école romaine que Balthasar Castiglione. Intimement lié
avec Raphaël, il lui fournit plus d'une fois les sujets de ses
compositions, et prit part au grand travail que le Sanzio avait entrepris
pour la reconnaissance et la restauration des précieux restes de
l'antiquité qui existaient encore dans la ville éternelle. Après la mort de
l'Urbinate, son amitié
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