du chagrin? 
--Je n'ai pas de chagrin, Christine, répondit-il; mais il y a pourtant 
quelque chose qui me chiffonne. Les camarades vont quelquefois boire
ensemble une pinte de bière; ils rient, causent et s'amusent un peu après 
le long travail de la semaine. Je suis toujours à la maison comme si 
j'étais d'un autre monde, et les amis se moquent de moi. Peut-être est-ce 
insensé de sacrifier ainsi toute sa vie, sans savoir ce qu'il en adviendra 
par la suite. 
Quoique ces paroles l'étonnassent, la femme prit une pièce d'argent de 
sa poche et la tendit à son mari en souriant amicalement. 
--Mon cher Damhout, dit-elle, tu ne dois pas te priver pour moi: voici 
de l'argent. Si tu désires passer quelques heures avec tes camarades, 
satisfais ton envie. Va, cela me fera plaisir, de savoir que tu t'amuses. 
Mais l'homme, comme honteux de son murmure, repoussa doucement 
sa main. 
--Non, garde l'argent, dit-il, mon envie est passée... Cependant, 
Christine, ce soir, les amis célèbrent le jubilé de Léon Leroux, parce 
qu'il y a aujourd'hui vingt-cinq ans qu'il est fileur. Wildenslag m'a prié 
d'y être présent; je lui ai promis de venir, si c'était possible. 
--Eh bien, Damhout, c'est possible: tu dois tenir ta promesse. 
--Oui, mais je ne sais pas, il me semble que je préférerais rester à la 
maison avec les enfants. 
--Non, non, Damhout, c'est demain dimanche, jour où nous sommes 
ensemble du matin au soir. Fais-moi ce plaisir et prends cet argent; va à 
la _Chèvre bleue_ et divertis-toi avec les amis. Je t'attendrai contente et 
de bonne humeur; reste aussi longtemps que tu le voudras. Va, je t'en 
prie. 
Elle le pria encore pendant quelques instants et lui fit en quelque sorte 
violence pour l'obliger à se lever. Alors, elle l'accompagna jusqu'à la 
porte et lui souhaita une joyeuse soirée. Elle retourna à la table et reprit 
sa couture. 
Quelques instants après, la porte s'ouvrit doucement, et une petite fille
entra. 
--Bavon, voici Godelive, dit la mère. 
Le petit garçon se leva d'un bond, courut à la petite fille, lui prit la main 
et la conduisit près de la table, disant avec une grande joie: 
--Ah! Godelive, c'est bien, de venir encore! Je suis las d'étudier; jouons 
un peu. Veux-tu jouer à la boutique comme hier? C'est si amusant! 
--Oh! non, Bavon, tenons une école! demanda la petite fille. 
--Oui, oui, une école! reprirent les deux petites soeurs en battant des 
mains. 
Bavon alla chercher quelques livres qu'il avait conservés des premiers 
mois qu'il allait à l'école; il plaça Godelive sur l'un des bancs et ses 
petites soeurs sur l'autre, prit la petite canne des dimanches de son père, 
et commença à aller et venir, la tête droite et avec un sérieux comique 
en criant de temps en temps d'un ton courroucé: 
--Silence dans la classe, ou je vous mets dans le coin. Quiconque ne 
connaît pas sa leçon, devra manger le pain sec. Godelive Weldenslag, 
attention! Quelle lettre est celle-ci?--Bon! Et celle-ci? Et 
celle-là?--Vous savez votre leçon. Vous avancerez d'une classe. 
Tournez la page de votre livre. Qu'est-ce qui est écrit sur la deuxième 
ligne? 
--Da, de, di, do, du, dit Godelive à haute voix. 
--Oui, vous connaissez cela par coeur, je le sais bien; mais là, sur l'autre 
page, là? 
La petite fille fit un violent effort pour épeler la syllabe qu'on lui 
montrait, mais elle ne put y parvenir. 
--Courage, faites bien attention, dit Bavon. Ces deux voyelles O et U 
forment le son...
--Ou, ou! dit Godelive avec une joie triomphante. 
--Très-bien, mon enfant, vous y êtes! dit le jeune instituteur avec joie. 
Godelive Wildenslag reçoit dix bons points. 
La mère avait vu cette scène en souriant et avec plaisir. 
--Chers enfants, dit-elle avec émotion, vous jouez là un jeu sérieux. 
Croiriez-vous que Godelive finira par apprendre à lire sans aller à 
l'école? 
Le petit garçon et la petite fille la regardèrent avec étonnement. 
--C'est comme je vous le dis. Pourquoi cela vous étonne-t-il? Tenez, 
Godelive, sans le savoir, connaît toutes ses lettres et elle commence 
déjà à épeler. Si Bavon voulait se donner un peu de peine, sois certaine 
Godelive, que tu saurais bien vite lire. 
--Vous dites cela pour rire, n'est-ce pas, madame Damhout? murmura la 
petite fille d'un air de doute. 
--Serait-il possible, chère mère? demanda Bavon, dans l'oeil duquel 
brillait une étincelle de résolution. 
--Possible? Mais, mon enfant, c'est presque fait, tu le vois bien! 
--Ah! ah! Godelive, nous jouerons toujours au jeu de l'école! Tu 
apprendras à lire! 
--J'apprendrai à lire! reprit Godelive avec une joie contenue. 
--Tu l'apprendras, s'écria Bavon. Dieu que ça sera amusant, lorsque 
nous pourrons lire à deux dans le même livre.--Allons, mademoiselle, 
rasseyez-vous sur le banc, et faites attention... ou je vous fais apprendre 
par coeur deux grandes leçons de catéchisme! 
Bavon continua à    
    
		
	
	
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