doit même avoir lieu ici; 
car nul d'entre eux ne soupçonne la haute protection dont m'honore 
Votre Majesté...Vous voyez que je vous ai comprise et que j'ai été au 
delà de vos ordres. 
CATHERINE 
Et vous avez compris aussi que l'écho de leurs paroles devait retentir 
dans mon cabinet, et non dans celui du roi? 
RUGGIERI 
Oui, oui... 
CATHERINE
Et maintenant, mon père, écoutez...Votre profonde retraite, vos travaux 
scientifiques, vous laissent peu de temps pour suivre les intrigues de la 
cour...Et, d'ailleurs, vos yeux, habitués à lire dans un ciel pur, 
perceraient mal l'atmosphère épaisse et trompeuse qui l'environne. 
RUGGIERI 
Pardon, ma fille!...les bruits du monde arrivent parfois jusqu'ici: je sais 
que le roi de Navarre et le duc d'Anjou ont fui la cour et se sont retirés, 
l'un dans son royaume, l'autre dans son gouvernement. 
CATHERINE 
Qu'ils y restent; ils m'inquiètent moins en province qu'à Paris... Le 
caractère franc du Béarnais, le caractère irrésolu du duc d'Anjou, ne 
nous menacent point de grands dangers; c'est plus près de nous que sont 
nos ennemis...Vous avez entendu parler du duel sanglant qui a eu lieu, 
le 27 avril dernier, près la porte Saint-Antoine, entre six jeunes gens de 
la cour; parmi les quatre qui ont été tués, trois étaient les favoris du roi. 
RUGGIERI 
J'ai su sa douleur; j'ai vu les magnifiques tombeaux qu'il a fait élever à 
Quélus, Schomberg et Maugiron; car il leur portait une grande 
amitié...Il avait promis, assure-t-on, cent mille livres aux chirurgiens, 
en cas que Quélus vînt en convalescence...Mais que pouvait la science 
de la terre contre les dix-neuf coups d'épée qu'il avait 
reçus?...Antraguet, son meurtrier, a du moins été puni par l'exil... 
CATHERINE 
Oui, mon père...Mais cette douleur s'apaise d'autant plus vite, qu'elle a 
été exagérée. Quélus, Schomberg et Maugiron ont été remplacés par 
d'Epernon, Joyeuse et Saint-Mégrin. Antraguet reparaîtra demain à la 
cour; le duc de Guise l'exige, et Henri n'a rien à refuser à son cousin de 
Guise. Saint-Mégrin et lui sont mes ennemis. Ce jeune gentilhomme 
bordelais m'inquiète. Plus instruit, moins frivole surtout que Joyeuse et 
d'Epernon, il a pris sur l'esprit de Henri un ascendant qui
m'effraye...Mon père, il en ferait un roi. 
RUGGIERI 
Et le duc de Guise? 
CATHERINE 
En ferait un moine, lui...Je ne veux ni l'un ni l'autre...Il me faut un peu 
plus qu'un enfant, un peu moins qu'un homme...Aurais-je donc abâtardi 
son coeur à force de voluptés, éteint sa raison par des pratiques 
superstitieuses, pour qu'un autre que moi s'emparât de son esprit et le 
dirigeât à son gré?...Non; je lui ai donné un caractère factice, pour que 
ce caractère m'appartînt...Tous les calculs de ma politique, toutes les 
ressources de mon imagination ont tendu là...Il fallait rester régente de 
la France, quoique la France eût un roi; il fallait qu'on pût dire un jour: 
«Henri III a regné sous Catherine de Médicis...» J'y ai réussi jusqu'à 
présent...Mais ces deux hommes!... 
RUGGIERI 
Eh bien, René, votre valet de chambre, ne peut-il préparer pour eux des 
pommes de senteur, pareilles à celles que vous envoyâtes à Jeanne 
d'Albret, deux heures avant sa mort?... 
CATHERINE 
Non...Ils me sont nécessaires: ils entretiennent dans l'âme du roi cette 
irrésolution qui fait ma force. Je n'ai besoin que de jeter d'autres 
passions au travers de leurs projets politiques, pour les en distraire un 
instant; alors je me fais jour entre eux; j'arrive au roi, que j'aurai isolé 
avec sa faiblesse, et je ressaisis ma puissance...J'ai trouvé un moyen. Le 
jeune Saint-Mégrin est amoureux de la duchesse de Guise. 
RUGGIERI 
Et celle-ci?... 
CATHERINE
L'aime aussi, mais sans se l'avouer encore à elle-même, peut-être...Elle 
est esclave de sa réputation de vertu...Ils en sont à ce point où il ne faut 
qu'une occasion, une rencontre, un tête-à-tête, pour que l'intrigue se 
noue; elle-même craint sa faiblesse, car elle le fuit...Mon père, ils se 
verront aujourd'hui; ils se verront seuls. 
RUGGIERI 
Où se verront-ils? 
CATHERINE 
Ici...Hier, au cercle, j'ai entendu Joyeuse et d'Epernon lier, avec 
Saint-Mégrin, la partie de venir faire tirer leur horoscope par 
vous...Dites aux deux premiers ce que bon vous semblera sur leur 
fortune future, que le roi veut porter à son comble, puisqu'il compte en 
faire ses beaux-frères...Mais trouvez le moyen d'éloigner ces jeunes 
fous...Restez seul avec Saint-Mégrin; arrachez-lui l'aveu de son amour; 
exaltez sa passion; dites-lui qu'il est aimé, que grâce à votre art, vous 
pouvez le servir; offrez-lui un tête-à-tête. (Montrant une alcôve cachée 
dans la boiserie) La duchesse de Guise est déjà là, dans ce cabinet si 
bien caché dans la boiserie, que vous avez fait faire pour que je puisse 
voir et entendre au besoin, sans être vue. Par Notre-Dame! il nous a 
déjà été utile, à moi pour mes expériences politiques, et à vous pour vos 
magiques opérations. 
RUGGIERI 
Et comment l'avez-vous déterminée à venir?... 
CATHERINE, ouvrant la porte du passage    
    
		
	
	
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