dont la fenêtre montrait un 
étroit morceau de ciel coupé de trois noirs tuyaux de tôle, des lignes de 
toits, et au loin, entre deux maisons qui se touchaient presque, la 
branche sans feuilles d'un arbre qu'on ne voyait pas. 
Dans la chambre, sur la cheminée, posait dans une boîte d'acajou carrée 
une pendule au large cadran, aux gros chiffres, aux heures lourdes. À 
côté deux flambeaux, faits de trois cygnes argentés tendant leur col 
autour d'un carquois doré, étaient sous verre. Près de la cheminée, un 
fauteuil à la Voltaire, recouvert d'une de ces tapisseries à dessin de 
damier que font les petites filles et les vieilles femmes, étendait ses bras 
vides. Deux petits paysages d'Italie, dans le goût de Berlin, une 
aquarelle de fleurs avec une date à l'encre rouge au bas, quelques 
miniatures, pendaient accrochés au mur. Sur la commode d'acajou, d'un 
style Empire, un Temps en bronze noir et courant, sa faux en avant,
servait de porte-montre à une petite montre au chiffre de diamants sur 
émail bleu entouré de perles. Sur le parquet, un tapis flammé allongeait 
ses bandes noires et vertes. À la fenêtre et au lit, les rideaux étaient 
d'une ancienne perse à dessins rouges sur fond chocolat. À la tête du lit, 
un portrait s'inclinait sur la malade, et semblait du regard peser sur elle. 
Un homme aux traits durs y était représenté, dont le visage sortait du 
haut collet d'un habit de satin vert, et d'une de ces cravates lâches et 
flottantes, d'une de ces mousselines mollement nouées autour des têtes 
par la mode des premières années de la Révolution. La vieille femme 
couchée dans le lit ressemblait à cette figure. Elle avait les mêmes 
sourcils épais, noirs, impérieux, le même nez aquilin, les mêmes lignes 
nettes de volonté, de résolution, d'énergie. Le portrait semblait se 
refléter sur elle comme le visage d'un père sur le visage d'une fille. 
Mais chez elle la dureté des traits était adoucie par un rayon de rude 
bonté, je ne sais quelle flamme de mâle dévouement et de charité 
masculine. 
Le jour qui éclairait la chambre était un de ces jours que le printemps 
fait, lorsqu'il commence, le soir vers les cinq heures, un jour qui a des 
clartés de cristal et des blancheurs d'argent, un jour froid, virginal et 
doux, qui s'éteint dans le rose du soleil avec des pâleurs de limbes. Le 
ciel était plein de cette lumière d'une nouvelle vie, adorablement triste 
comme la terre encore dépouillée, et si tendre qu'elle pousse le bonheur 
à pleurer. 
--Eh bien! voilà ma bête de Germinie qui pleure? dit au bout d'un 
instant la vieille femme en retirant ses mains mouillées sous les baisers 
de sa bonne. 
--Ah! ma bonne demoiselle, je voudrais toujours pleurer comme ça! 
c'est si bon! ça me fait revoir ma pauvre mère... et tout!... si vous 
saviez! 
--Va, va... lui dit sa maîtresse en fermant les yeux pour écouter, dis-moi 
ça... 
--Ah! ma pauvre mère!... La bonne s'arrêta. Puis, avec le flot de paroles 
qui jaillit des larmes heureuses, elle reprit, comme si, dans l'émotion et
l'épanchement de sa joie, toute son enfance refluait à son coeur:--La 
pauvre femme! Je la revois la dernière fois qu'elle est sortie... pour me 
mener à la messe... un 21 janvier, je me rappelle... On lisait dans ce 
temps-là le testament du roi... Ah! elle en a eu des maux pour moi, 
maman! Elle avait quarante-deux ans, quand elle a été pour m'avoir... 
papa l'a fait assez pleurer! Nous étions déjà trois, et il n'y avait pas tant 
de pain à la maison... Et puis il était fier comme tout... Nous n'aurions 
eu qu'une cosse de pois, qu'il n'aurait jamais voulu des secours du curé... 
Ah! on ne mangeait pas tous les jours du lard chez nous... Ça ne fait 
rien: pour tout ça, maman m'aimait un peu plus, et elle trouvait toujours 
dans des coins un peu de graisse ou de fromage pour mettre sur mes 
tartines... Je n'avais pas cinq ans quand elle est morte... Ce fut notre 
malheur à tous. J'avais un grand frère qui était blanc comme un linge, 
avec une barbe toute jaune... et bon! vous n'avez pas d'idée... Tout le 
monde l'aimait. On lui avait donné des noms... Les uns l'appelaient 
Boda, je ne sais pas pourquoi... Les autres Jésus-Christ... Ah! c'était un 
ouvrier, celui-là! Il avait beau avoir une santé de rien du tout... au petit 
jour il était toujours à son métier... parce que nous étions tisserands, 
faut vous dire... et il ne démarrait pas avec sa navette, jusqu'au soir... Et 
honnête avec ça, si vous saviez! On venait de partout lui apporter son 
fil, et toujours sans peser... Il était très-ami avec le maître d'école, et 
c'était lui qui faisait les sentences au carnaval. Mon père, lui,    
    
		
	
	
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