Germinal | Page 3

Emile Zola
que la minoterie Dutilleul et la corderie Bleuze pour les cables de mine, qui tinssent le coup. Puis, d'un geste large, il indiqua, au nord, toute une moiti�� de l'horizon: les ateliers de construction Sonneville n'avaient pas re?u les deux tiers de leurs commandes habituelles; sur les trois hauts fourneaux des Forges de Marchiennes, deux seulement ��taient allum��s; enfin, �� la verrerie Gagebois, une gr��ve mena?ait, car on parlait d'une r��duction de salaire.
--Je sais, je sais, r��p��tait le jeune homme �� chaque indication. J'en viens.
--Nous autres, ?a va jusqu'�� pr��sent, ajouta le charretier. Les fosses ont pourtant diminu�� leur extraction. Et regardez, en face, �� la Victoire, il n'y a aussi que deux batteries de fours �� coke qui flambent.
Il cracha, il repartit derri��re son cheval somnolent, apr��s l'avoir attel�� aux berlines vides.
Maintenant, ��tienne dominait le pays entier. Les t��n��bres demeuraient profondes, mais la main du vieillard les avait comme emplies de grandes mis��res, que le jeune homme, inconsciemment, sentait �� cette heure autour de lui, partout, dans l'��tendue sans bornes. N'��tait-ce pas un cri de famine que roulait le vent de mars, au travers de cette campagne nue? Les rafales s'��taient enrag��es, elles semblaient apporter la mort du travail, une disette qui tuerait beaucoup d'hommes. Et, les yeux errants, il s'effor?ait de percer les ombres, tourment�� du d��sir et de la peur de voir. Tout s'an��antissait au fond de l'inconnu des nuits obscures, il n'apercevait, tr��s loin, que les hauts fourneaux et les fours �� coke. Ceux-ci, des batteries de cent chemin��es, plant��es obliquement, alignaient des rampes de flammes rouges; tandis que les deux tours, plus �� gauche, br?laient toutes bleues en plein ciel, comme des torches g��antes. C'��tait d'une tristesse d'incendie, il n'y avait d'autres levers d'astres, �� l'horizon mena?ant, que ces feux nocturnes des pays de la houille et du fer.
--Vous ��tes peut-��tre de la Belgique? reprit derri��re ��tienne le charretier, qui ��tait revenu.
Cette fois, il n'amenait que trois berlines. On pouvait toujours culbuter celles-l��: un accident arriv�� �� la cage d'extraction, un ��crou cass��, allait arr��ter le travail pendant un grand quart d'heure. En bas du terri, un silence s'��tait fait, les moulineurs n'��branlaient plus les tr��teaux d'un roulement prolong��. On entendait seulement sortir de la fosse le bruit lointain d'un marteau, tapant sur de la t?le.
--Non, je suis du Midi, r��pondit le jeune homme.
Le manoeuvre, apr��s avoir vid�� les berlines, s'��tait assis �� terre, heureux de l'accident; et il gardait sa sauvagerie muette, il avait simplement lev�� de gros yeux ��teints sur le charretier, comme g��n�� par tant de paroles. Ce dernier, en effet, n'en disait pas si long d'habitude. Il fallait que le visage de l'inconnu lui conv?nt et qu'il f?t pris d'une de ces d��mangeaisons de confidences, qui font parfois causer les vieilles gens tout seuls, �� haute voix.
--Moi, dit-il, je suis de Montsou, je m'appelle Bonnemort.
--C'est un surnom? demanda ��tienne ��tonn��.
Le vieux eut un ricanement d'aise, et montrant le Voreux:
--Oui, oui... On m'a retir�� trois fois de l��-dedans en morceaux, une fois avec tout le poil roussi, une autre avec de la terre jusque dans le g��sier, la troisi��me avec le ventre gonfl�� d'eau comme une grenouille... Alors, quand ils ont vu que je ne voulais pas crever, ils m'ont appel�� Bonnemort, pour rire.
Sa gaiet�� redoubla, un grincement de poulie mal graiss��e, qui finit par d��g��n��rer en un acc��s terrible de toux. La corbeille de feu, maintenant, ��clairait en plein sa grosse t��te, aux cheveux blancs et rares, �� la face plate, d'une paleur livide, macul��e de taches bleuatres. Il ��tait petit, le cou ��norme, les mollets et les talons en dehors, avec de longs bras dont les mains carr��es tombaient �� ses genoux. Du reste, comme son cheval qui demeurait immobile sur les pieds, sans para?tre souffrir du vent, il semblait en pierre, il n'avait l'air de se douter ni du froid ni des bourrasques sifflant �� ses oreilles. Quand il eut touss��, la gorge arrach��e par un raclement profond, il cracha au pied de la corbeille, et la terre noircit.
��tienne le regardait, regardait le sol qu'il tachait de la sorte.
--Il y a longtemps, reprit-il, que vous travaillez �� la mine?
Bonnemort ouvrit tout grands les deux bras.
--Longtemps, ah! oui!... Je n'avais pas huit ans, lorsque je suis descendu, tenez! juste dans le Voreux, et j'en ai cinquante-huit, �� cette heure. Calculez un peu... J'ai tout fait l��-dedans, galibot d'abord, puis herscheur, quand j'ai eu la force de rouler, puis haveur pendant dix-huit ans. Ensuite, �� cause de mes sacr��es jambes, ils m'ont mis de la coupe �� terre, remblayeur, raccommodeur, jusqu'au moment o�� il leur a fallu me sortir du fond, parce que le m��decin disait que j'allais y rester. Alors, il y a cinq ann��es de cela, ils m'ont fait charretier... Hein? c'est joli, cinquante ans de mine, dont quarante-cinq
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