les ports de mer. Au retour des longues traversées,
l'officier de marine a plus d'illusions, plus de naïveté, plus de jeunesse 
qu'il n'en avait le jour du départ; la première femme qui se présente à 
ses yeux lui apparaît aussi belle et aussi sainte que la France retrouvée: 
c'est la patrie en robe de soie! Le bonhomme Chermidy, simple comme 
un loup de mer, fut préféré pour sa candeur; il croqua cette brebis 
récalcitrante à la barbe de ses rivaux. 
Cette bonne fortune, qui aurait pu lui faire des ennemis, ne nuisit en 
rien à son avenir. Quoiqu'il vécût à l'écart, seul avec sa femme, dans 
une bastide isolée, il obtint un fort joli commandement sans l'avoir 
demandé. Depuis cette époque, il n'a vu la France qu'à très-rares 
intervalles; toujours en mer, il a fait des économies pour sa femme, qui, 
de son côté, économisait pour lui. Honorine, embellie par la toilette, par 
l'aisance et par l'embonpoint, cette richesse du corps, a régné dix ans 
sur le département du Var. Les seuls événements qui aient signalé son 
règne sont la faillite d'un fournisseur de charbon et la destitution de 
deux officiers payeurs. A la suite d'un procès scandaleux où son nom 
ne fut pas prononcé, elle jugea à propos de se montrer sur une plus 
vaste scène, et elle prit l'appartement qu'elle occupe encore dans la rue 
du Cirque. Son mari naviguait vers les bancs de Terre-Neuve tandis 
qu'elle roulait sur Paris. Vous avez assisté à ses débuts, monsieur le 
duc? 
--Oui, morbleu! et j'ose dire que peu de femmes ont mieux fait leur 
chemin. Ce n'est rien d'être jolie et d'avoir de l'esprit; le grand art 
consiste à se poser en millionnaire, et c'est ainsi qu'on se fait offrir des 
millions. 
--Elle est arrivée ici avec deux ou trois cent mille francs grappillés 
discrètement dans les bureaux. Elle a fait au Bois une telle poussière, 
que vous auriez dit que la reine de Saba venait de débarquer à Paris. En 
moins d'une année, elle a fait parler de ses chevaux, de ses toilettes et 
de son mobilier, sans qu'on pût rien dire de positif sur sa conduite. Moi 
qui vous parle, je lui ai donné des soins pendant dix-huit mois avant 
d'apercevoir le bout de l'oreille. J'aurais gardé longtemps mes illusions, 
si le hasard ne m'avait mis en présence de son mari. Il tomba chez elle, 
avec sa malle, un jour que j'y étais en visite. C'était dans les premiers
jours de 1850, il y a trois ans, ou peu s'en faut. Le pauvre diable arrivait 
de Terre-Neuve, avec un pied de hâle sur la figure. Il repartait à la fin 
du mois pour une station de cinq ans dans les mers de la Chine, et il 
trouvait naturel d'embrasser sa femme entre les deux voyages. La livrée 
de ses gens lui fit cligner les yeux, et il fut ébloui des splendeurs de son 
mobilier. Mais, lorsqu'il vit apparaître sa chère Honorine dans une 
petite toilette du matin qui représentait deux ou trois années de sa solde, 
il oublia de tomber dans ses bras, vira de bord sans dire un mot, et fit 
porter ses bagages au chemin de fer de Lyon. C'est ainsi que M. 
Chermidy m'a fait entrer dans la confidence de madame. J'en ai bien 
appris d'autres par le comte de Villanera. 
--Arrivons-nous? demanda le duc. 
--Un instant de patience. Mme Chermidy avait distingué don Diego 
quelque temps avant l'arrivée du mari. Elle était sa voisine au balcon 
des Italiens, loge à loge, et elle sut le regarder avec de tels yeux qu'il se 
fit présenter chez elle. Tous les hommes vous diront que son salon est 
un des plus agréables de Paris, quoiqu'on n'y rencontre jamais une autre 
femme que la maîtresse de la maison. Mais elle se multiplie. Le comte 
se passionna pour elle, par le même esprit d'émulation qui avait perdu 
le malheureux Chermidy. Il l'aima d'autant plus aveuglément qu'elle lui 
laissa tous les honneurs de la guerre et parut céder à un penchant 
irrésistible qui la jetait dans ses bras. L'homme le plus spirituel se laisse 
prendre à cette amorce, et il n'y a point de scepticisme qui tienne contre 
la comédie de l'amour vrai. Don Diego n'est pas un étourdi sans 
expérience. S'il avait deviné un motif d'intérêt, surpris un mouvement 
calculé, il se mettait en garde, et tout était perdu. Mais la fine mouche 
poussa l'habileté jusqu'à l'héroïsme. Elle épuisa toutes les ressources de 
son budget et employa son dernier sou à faire croire au comte qu'elle 
l'aimait pour lui. Elle exposa même sa réputation, dont elle avait pris 
tant de soin, et elle se serait compromise follement, s'il n'y eût mis bon 
ordre. La comtesse douairière de Villanera, une sainte femme, belle de 
vieillesse et de roideur, et semblable à un    
    
		
	
	
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