peuples de la terre, depuis le créole indolent qui 
se fait porter en palanquin s'il a besoin de traverser la rue, et pour qui 
parler est une si grande fatigue qu'il a habitué ses esclaves à obéir à son 
geste, jusqu'au nègre que le fouet conduit le matin au travail et que le 
fouet ramène du travail le soir. Entre ces deux extrémités de l'échelle 
sociale, voyez les lascars verts et rouges, que vous distinguez à leurs 
turbans, qui ne sortent pas de ces deux couleurs, et à leurs traits bronzés, 
mélange du type malais et du type malabar. Voyez le nègre Yoloff, de 
la grande et belle race de la Sénégambie, au teint noir comme du jais, 
aux yeux ardents comme des escarboucles, aux dents blanches comme 
des perles; le Chinois court, à la poitrine plate et aux épaules larges; 
avec son crâne nu, ses moustaches pendantes, son patois que personne 
n'entend et avec lequel cependant tout le monde traite: car le Chinois 
vend toutes les marchandises, fait tous les métiers, exerce toutes les 
professions; car le Chinois, c'est le juif de la colonie; les Malais, 
cuivrés, petits, vindicatifs, rusés, oubliant toujours un bienfait, jamais 
une injure; vendant, comme les bohémiens, de ces choses que l'on 
demande tout bas; les Mozambiques, doux, bons et stupides, et estimés 
seulement à cause de leur force; les Malgaches, fins, rusés, au teint 
olivâtre, au nez épaté et aux grosses lèvres, et qu'on distingue des 
nègres du Sénégal au reflet rougeâtre de leur peau; les Namaquais, 
élancés, adroits et fiers, dressés dès leur enfance à la chasse du tigre et 
de l'éléphant, et qui s'étonnent d'être transportés sur une terre où il n'y a 
plus de monstres à combattre; enfin, au milieu de tout cela, l'officier 
anglais en garnison dans l'île ou en station dans le port; l'officier 
anglais, avec son gilet rond écarlate, son schako en forme de casquette, 
son pantalon blanc; l'officier anglais qui regarde du haut de sa grandeur 
créoles et mulâtres, maîtres et esclaves, colons et indigènes, ne parle 
que de Londres, ne vante que l'Angleterre, et n'estime que lui-même. 
Derrière nous, Grand-Port, autrefois Port Impérial, premier
établissement des Hollandais, mais abandonné depuis par eux, parce 
qu'il est au vent de l'île et que la même brise qui y a conduit les 
vaisseaux les empêche d'en sortir. Aussi, après être tombé en ruine, 
n'est-ce aujourd'hui qu'un bourg dont les maisons se relèvent à peine, 
une anse où la goélette vient chercher un abri contre le grappin du 
corsaire, des montagnes couvertes de forêts auxquelles l'esclave 
demande un refuge contre la tyrannie du maître; puis, en ramenant les 
yeux vers nous, et presque sous nos pieds, nous distinguerons, sur le 
revers des montagnes du port, Moka, tout parfumé d'aloès, de grenades 
et de cassis; Moka, toujours si frais, qu'il semble replier le soir les 
trésors de sa parure pour les étaler le matin; Moka, qui se fait beau 
chaque jour comme les autres cantons se font beaux pour les jours de 
fête; Moka, qui est le jardin de cette île, que nous avons appelée le 
jardin du monde. 
Reprenons notre première position; faisons face à Madagascar, et jetons 
les yeux sur notre gauche: à nos pieds, au delà du Réduit, ce sont les 
plaines Williams, après Moka le plus délicieux quartier de l'île, et que 
termine, vers les plaines Saint-Pierre, la montagne du Corps-de-Garde, 
taillée en croupe de cheval; puis par delà les Trois-Mamelles et les 
grands bois, le quartier de la Savane, avec ses rivières au doux nom, 
qu'on appelle les rivières des Citronniers, du Bain-des-Négresses et de 
l'Arcade, avec son port si bien défendu par l'escarpement même de ses 
côtes, qu'il est impossible d'y aborder autrement qu'en ami; avec ses 
pâturages rivaux de ceux des plaines de Saint-Pierre, avec son sol 
vierge encore comme une solitude de l'Amérique; enfin, au fond des 
bois, le grand bassin où se trouvent de si gigantesques murènes, que ce 
ne sont plus des anguilles, mais des serpents, et qu'on les a vues 
entraîner et dévorer vivants des cerfs poursuivis par des chasseurs et 
des nègres marrons qui avaient eu l'imprudence de s'y baigner. 
Enfin, tournons-nous vers notre droite: voici le quartier du Rempart, 
dominé par le morne de la Découverte, au sommet duquel se dressent 
des mâts de vaisseaux qui, d'ici, nous semblent fins et déliés comme 
des branches de saule; voici le cap Malheureux, voici la baie des 
Tombeaux, voici l'église des Pamplemousses. C'est dans ce quartier que 
s'élevaient les deux cabanes voisines de madame de La Tour et de
Marguerite; c'est au cap Malheureux que se brisa le Saint-Géran; c'est à 
la baie des Tombeaux qu'on retrouva le corps d'une jeune fille tenant un 
portrait serré dans sa main; c'est à l'église des Pamplemousses, et deux 
mois après, que, côte à côte    
    
		
	
	
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