des difficultés, 
il ne les soupçonne même pas. Il y a dans beaucoup d'ouvrages une 
bonhommie d'orgueil et de nullité qui m'empêchera toute ma vie de 
m'ériger en critique: j'y applaudirais même de bon coeur si la plupart de 
ces écrivains-là n'avoient la manie de mettre les mots morale et vertu 
dans les circonstances les plus déplacées; ce qui a l'inconvénient 
terrible de donner aux lecteurs plus médiocres qu'eux, un jugement 
faux et des principes incertains. Si le public vouloit perdre l'habitude de 
juger la moralité d'un écrivain par ses ouvrages, cela nous 
débarrasseroit peut-être des phrases à contre-sens sur la sensibilité, et 
d'apologies bien dangereuses de la morale et de la vertu. 
Dans Suzette, j'ai voulu faire un essai sur une partie des moeurs 
actuelles; dans Frédéric, j'ai peint des caractères qui existoient avant la 
révolution. C'est pour ne jamais me donner le droit d'applaudir ou de 
blâmer que je fais parler mes personnages eux-mêmes. À mesure qu'ils 
entrent sur la scène, ils ne m'appartiennent plus, et leurs discours, leurs 
actions, ne sont que la conséquence nécessaire de leur situation, de 
leurs passions, de leur caractère: moi, je l'affirme, je n'y suis pour rien; 
et quoiqu'il y en ait de fort aimables, que tous aient de l'esprit, plusieurs 
même quelque chose de plus que ce mot ne signifie, il n'en est pas un 
seul qui parle ou pense comme moi, pas un seul à qui je désirasse 
ressembler. 
On trouvera hardi d'avoir osé rassembler dans le même cadre tant de 
personnages annoncés pour avoir beaucoup de talens. Il faut s'en croire 
soi-même, m'objectera-t-on, pour prétendre leur faire soutenir la 
réputation que vous leur donnez. Pas tant. Les gens d'un vrai mérite
sont simples, et ne font jamais de longs discours: quand ils sont agités 
par des passions, ils rentrent à peu près dans la classe des autres 
hommes; quand ils réfléchissent, c'est différent, ils s'élèvent. Eh bien! 
je ne crois pas en avoir placé un au-dessous de l'idée qu'on a dû s'en 
former. 
Je craindrois plutôt d'avoir accordé trop que trop peu, sur-tout à mon 
personnage favori, Adèle: aussi le lecteur instruit s'appercevra-t-il que 
j'ai eu soin de lui donner une caution pour les pensées qui sont 
au-dessus de son sexe. J'aimois à l'embellir et à lui conserver sa 
modestie: il est si aimable de parer une jolie femme! 
Si ma prévention pour elle ne m'aveugloit pas, je lui reprocherois de 
n'avoir point assez médité ce dernier conseil de son instituteur: 
Méfiez-vous de votre coeur, et n'osez pas tout ce qu'osera votre esprit. 
Pour son coeur, elle ne pouvoit mieux le placer, et j'aurois tort de me 
plaindre. Pour son esprit, elle en abuse dans ce sens, qu'elle ne résiste 
pas à l'amour-propre d'avoir raison contre son père; et quoiqu'elle ait 
mille motifs de se défier de lui, elle met trop de finesse dans sa 
conduite. La finesse est la première tentation d'une femme spirituelle; 
Adèle devoit y succomber. 
C'est parce que je peignois des caractères et des événemens possibles 
avant 1789, que j'ai donné à tous mes personnages de l'esprit, de l'esprit, 
et encore de l'esprit. Nous en étions si pleins alors, que tout ce qui 
n'étoit pas notre esprit n'étoit rien. Les uns sont philosophes, les autres 
anti philosophes, quelques uns athées, d'autres religieux par 
raisonnement, presque tous auteurs; c'étoit déjà la mode. On pouvoit 
mourir sans faire son testament, mais non avant d'avoir composé un 
petit ouvrage, ne fût ce qu'une satyre contre son père; et c'est, je pense 
ce qui arrive à l'un de mes acteurs. 
Qui que ce soit ne s'est reconnu dans Suzette; j'en étois sûr d'avance. 
Les gens d'une pénétration bien fine y ont reconnu tout le monde; je 
l'aurois juré également. Autant en sera Frédéric. 
Si l'on veut connoître ma pensée sur les deux ouvrages, la voici. Suzette
plaira à plus de personnes, et Frédéric, davantage à ceux qui savent 
bien lire. Le succès de Suzette a de beaucoup passé mon espérance; 
cependant je crains qu'en vieillissant elle ne se perde dans l'abîme qui 
engloutit quatre-vingt-dix-neuf romans sur cent. Frédéric n'y tombera 
pas; du moins je l'espère. 
Ne pouvant revoir moi-même les épreuves, s'il s'est glissé dans mon 
manuscrit, ou s'il se glisse à l'impression quelques fautes un peu 
lourdes, je prie qu'on ne me les attribue pas. Pour celles qui dénotent un 
auteur qui n'aime ni à travailler, ni à polir, ni à corriger, je m'en charge: 
il faut être juste. 
 
FRÉDÉRIC. 
 
CHAPITRE Ier 
Mon éducation. 
C'étoit un bien excellent homme que le curé de Mareil; mais de tous les 
hommes excellens par les qualités du coeur, c'étoit le moins propre à 
diriger une éducation. Ce fut cependant à lui que la mienne fut confiée. 
En accuserai-je mes parens? Pour cela, il faudrait les connoître. Tout ce 
que je peux    
    
		
	
	
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