Fables et légendes du Japon | Page 2

Claudius Ferrand
trop
d'indiscrétion, j'accepterais avec plaisir une tasse de saké.
--Du saké? Tu bois donc du saké! C'est bien heureux! J'en ai justement
ici une petite bouteille. Il n'est pas de première qualité, mais il n'est pas
mauvais tout de même. Voici!
Et le pêcheur, emplissant une tasse, la passe à la tortue, qui l'avale d'un

trait. Puis, la conversation, un instant interrompue, continue de la sorte:
--En veux-tu une seconde tasse?
--Non, merci, Monsieur Ourashima. Une seule me suffit... A propos,
avez-vous déjà visité le palais d'Otohimé, la déesse de l'Océan?
--Non, pas encore.
--J'ai justement l'intention de vous y conduire aujourd'hui.
--Comment? Tu veux m'y conduire? Mais il doit être bien loin, ce
palais! D'abord, je ne sais pas nager comme toi. Comment veux-tu que
je te suive?
--Oh! il n'est pas nécessaire de savoir bien nager, Monsieur Ourashima.
Vous n'aurez même pas à nager du tout. Vous allez monter sur mon dos;
je vous porterai moi-même.
--Monter sur ton dos!... Mais, tu n'y penses pas, ma petite tortue. Quand
bien même tu serais dix fois plus grosse, il serait impossible à un
homme comme moi de monter sur ton dos, et de s'y tenir sans danger!
--Ah! Monsieur Ourashima, vous trouvez que je suis trop petite? C'est
bien... Attendez une seconde. Vous allez voir.
Et voilà que la petite tortue se met à grossir... à grossir... Elle devient
aussi grosse que la barque du pêcheur. Celui-ci, frappé de ce prodige,
n'hésite plus. Il monte sur le dos de l'animal, s'y installe à son aise. Et la
tortue l'emporte vers le palais d'Otohimé, la déesse de l'Océan.
Au bout de quelques heures, Taro aperçoit dans le lointain un immense
monument:
--Quel est ce monument? demande-t-il à la tortue.
--C'est le portail du palais, répond-elle.
Et, à mesure qu'ils approchent, le portail semble grandir, et se teinter de

couleurs brillantes.
Ils arrivent enfin. La tortue dépose son cavalier sur du sable, dont
chaque grain est une perle. Le pêcheur peut voir alors que le portail est
en or massif, incrusté de pierreries. Deux énormes dragons en gardent
l'entrée. Ils ont un corps de cheval, une tête et des griffes de lion, des
ailes d'aigle et une queue de serpent. Leur aspect est terrible;
néanmoins, c'est d'un regard plein de douceur qu'ils fixent le nouvel
arrivé.
La tortue seule avait pénétré sous le porche. Elle en sortit bientôt,
accompagnée d'une multitude de poissons. Il y en avait de toutes les
grandeurs et de toutes les formes. Chacune des espèces que renferme
l'Océan était représentée. Ils portaient tous la livrée de la déesse,
couleur d'azur et galons d'argent. Ils s'avancèrent au-devant du pêcheur
et le saluèrent jusqu'à terre, avec toutes les marques de la sympathie et
du respect.
Le brave Taro ne comprenait rien à toutes ces choses; mais, sachant très
bien qu'on ne lui voulait aucun mal, il se laissa faire. On le dépouilla de
son costume de pêche, et on le revêtit d'une magnifique robe de soie.
On lui attacha aux pieds des pantoufles de velours; puis un page
charmant, le prenant par la main, l'introduisit dans le palais.
S'appuyant sur une rampe d'ivoire, il monte les sept degrés d'un escalier
de marbre, et arrive devant la porte en bois d'acajou, sur laquelle
scintillent des émeraudes. Elle s'ouvre d'elle-même et Taro pénètre dans
l'appartement de la déesse. C'est une salle immense, dont le plafond en
corail est soutenu par vingt colonnes de cristal. De nombreuses lampes
en vermeil y donnent une douce et brillante lumière. Les parois sont en
marbre parsemé de rubis et de pierreries diverses.
Au milieu de toutes ces merveilles, assise sur un trône de diamant,
ornée de ses plus riches parures, et environnée de toute sa cour, se tient
Otohimé, la déesse de l'Océan. Elle est extraordinairement belle, plus
belle que l'aurore à son lever. Lorsque Taro la vit, elle le contemplait
avec son plus gracieux sourire. Il voulut se prosterner. La déesse ne lui
en laissa pas le temps. Se levant de son trône, elle s'avança vers lui,

majestueuse et aimable, et lui prenant affectueusement les mains:
--Soyez le bienvenu! lui dit-elle. J'ai appris que, hier soir, vous aviez
sauvé la vie à l'un des sujets les plus vénérés de mon empire. J'ai voulu
vous en exprimer de vive voix ma sincère reconnaissance, et voilà la
raison pour laquelle je vous ai fait venir ici.
Taro ne savait que répondre. Il se tut. Alors, sur un signe de la déesse,
on le fit asseoir sur un coussin en soie, cousue de fil d'or. On lui
apporta une petite table en ivoire, sur laquelle étaient posés, dans des
plateaux de vermeil, toutes sortes de mets appétissants. Taro fit un
repas, comme il n'en avait jamais fait depuis qu'il était au monde.
Quand il eut fini de manger, la déesse
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