Félix Poutré | Page 9

Louis Frechette
toute ma vie la
mine d'un Anglais, que celle quej'aurai cejour-là! . . . pendu! . . . Et puis
dire que c'est aujourd'hui le tour de ce pauvre Cardinal et de ce pauvre
Duquette! Pauvres garçons! oui, c'est aujourd'hui, vendredi 21
décembre! Le gouvernement a choisi ses premières victimes . . . mon
tour ne peut tarder d'arriver C'était affreux, hier, de voir ce malheureux
Cardinal embrasser sa femme et ses quatre enfants, et Duquette sa
pauvre vieille mère . . . C'était déchirant! A peine 21 ans, être le seul
soutien d'une vieille mère, et mourir . . . pendu! oh! (Il cache sa tête
dans ses mains.) On ouvre! . . . Voilà le shérif . . . oui, c'est à peu près
l'heure . . . O mon Dieu . . . le bourreau! . . . la sentence! . . .
(Le shérif entre suivi de plusieurs soldats, du geôlier et du bourreau. Le
shérif a l'épée au côté; le bourreau est enveloppé de noir et masqué.)
SCÈNE II
Les Précédents, le SHÉRIF, le GEÔLIER, le BOURREAU, SOLDATS
SHÉRIF--Joseph Narcisse Cardinal, approchez et levez la main droite.
(Il lit:) «Ayant été bien et dûment convaincu du crime de haute trahison,
avec intention avouée de renverser le gouvernement de notre
Souveraine Dame la Reine, au Canada, vous, Joseph Narcisse Cardinal,
avez été condamné par la Cour Martiale légalement établie en cette
province à être conduit, vendredi, le vingt et unième jour de décembre

en l'année de Notre Seigneur mil huit cent trente-huit, au lieu ordinaire
des exécutions, pour là être pendu par le cou jusqu'à ce que la mort s'en
suive. Que Dieu ait pitié de votre âme!»
CARDINAL--Vive la liberté!
SHÉRIF--Joseph Duquette, à votre tour, approchez et levez la main
droite. (Il lit:) «Ayant été bien et dûment convaincu du crime de haute
trahison, avec intention avouée de renverser le gouvernement de notre
Souveraine Dame la Reine, au Canada, vous, Joseph Duquette, avez été
condamné par la Cour Martiale légalement établie en cette province, à
être conduit, vendredi, le vingt et unième jour de décembre en l'année
de Notre Seigneur mil huit cent trente-huit, au lieu ordinaire des
exécutions, pour là être pendu par le cou jusqu'à ce que la mort s'en
suive. Que Dieu ait pitié de votre âme.»
DUQUETTE--Vive la liberté!
SHÉRIF--Joseph Narcisse Cardinal et Joseph Duquette, préparez-vous
tous deux à me suivre. (Cardinal et Duquette pressent la main aux
prisonniers dont quelques-uns pleurent.)
CARDINAL--Ne pleurez pas, mes amis, nous nous reverrons dans un
monde meilleur, et en attendant, nous allons montrer à nos ennemis
comment savent mourir des chrétiens et des Canadiens-français . . .
Adieu! . . . priez pour nous et vive le Canada! (Cardinal et Duquette
s'embrassent et se mettent à genoux.)
DUQUETTE--J'offre mon âme à Dieu et ma vie à mon pays!
CARDINAL--Ainsi soit-il!
SHÉRIF--Êtes-vous prêts?
(Ensemble:) CARDINAL--Oui. DUQUETTE--Oui.
Ils sortent escortés par les soldats et suivis par le bourreau, le geôlier
et le shérif. Tous les prisonniers restent silencieux; on entend le

brouhaha de la populace.
CARDINAL, en dehors--Canadiens, nous allons mourir pour la patrie;
puisse notre sang devenir une semence féconde pour l'avenir du
Canada!
DUQUETTE, en dehors et chantant--«Allons, enfants de la patrie, le
jour de gloire est arrivé . . .» (On entend un grand bruit suivi des cris
de la multitude en dehors. Les prisonniers se mettent à genoux et
chantent à la sourdine:)
LES PRISONNIERS--«Mourir pour la patrie, C'est le sort le plus beau,
Le plus digne d'envie. (bis)»
(Les prisonniers se lèvent.)
SCÈNE III
FÉLIX, LES PRISONNIERS
FÉLIX--Mes amis, écoutez-moi. Deux hommes irréprochables dans
leur conduite personnelle, deux hommes universellement estimés et
respectés, deux nobles coeurs et deux citoyens dévoués, viennent de
subir le sort des criminels, des voleurs et des meurtriers! L'affreuse
réalité est là devant nos yeux. Deux de nos amis viennent de nous être
arrachés et d'être immolés à des vengeances de partis; car il y a si peu
de crime réel dans une tentative d'insurrection, que le gouvernement
anglais sera tôt ou tard obligé, par la seule force des choses et de
l'opinion, de réhabiliter ces victimes d'une atrocité presque sans
exemple dans l'histoire des peuples. Des exécutions pour cause
purement politique sont, à tous les points de vue possibles, de vrais
meurtres, des cruautés inexcusables, et le gouvernement qui les
ordonne reste plus déshonoré que ceux qui les subissent. Mais
consolez-vous, amis; Cardinal et Duquette, et tous ceux qui auront
l'honneur de les suivre sur l'échafaud seront toujours regardés comme
des martyrs de la liberté, puisqu'ils auront sacrifié leur vie à leurs
convictions, et le procureur général Ogden, le véritable auteur de ces
meurtres, restera pour toujours cloué au pilori de l'histoire, et voué à

l'exécration publique, pendant que des monuments de sympathie et de
deuil national s'élèveront à
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