En ballon! Pendant le siege de Paris | Page 9

Gaston Tissandier
dépêches et ma cage de pigeons. Les pauvres oiseaux immobiles ne sont pas encore remis de leurs émotions!
En descendant sur la place, plus de cinquante personnes m'invitent à déjeuner, mais j'ai déjà accepté l'hospitalité que m'a gracieusement offerte le propriétaire de la voiture. Mon h?te a lu par hasard mon nom sur ma valise, il a reconnu en moi un des voisins de son associé de la rue Bleue. Je mange gaiement, avec appétit, et je me fais conduire au bureau de poste avec mes sacs de lettres parisiennes.
Je les pose à terre, et je ne puis m'empêcher de les contempler avec émotion. Il y a sous mes yeux trente mille lettres de Paris. Trente mille familles vont penser au ballon qui leur a apporté au-dessus des nuages la missive de l'assiégé!
Que de larmes de joie enfermées dans ces ballots! Que de romans, que d'histoires, que de drames peut-être, sont cachés sous l'enveloppe grossière du sac de la poste!
Le directeur du bureau de poste entre, et parait stupéfait de la besogne que je lui apporte. Je vois son commis qui ouvre des yeux énormes en pensant aux trente mille coups de timbre humide qu'il va frapper. Il n'a jamais à Dreux été à pareille fête. On en sera quitte pour prendre un supplément d'employés; mais la besogne marchera vite: le directeur me l'assure. Quant au petit sac officiel, je vais le porter moi-même à Tours, par un train spécial que je demande par télégramme.
Qu'ai-je à faire maintenant? A lancer mes pigeons pour apprendre à mes amis que je suis encore de ce monde, et pour annoncer que mes dépêches sont en lieu s?r. Je cours à la sous-préfecture, où j'ai envoyé mes messagers ailés. On leur a donné du blé et de l'eau, ils agitent leurs ailes dans leur cage. J'en saisis un qui se laisse prendre sans remuer. Je lui attache à une plume de la queue ma petite missive écrite sur papier fin. Je le lache; il vient se poser à mes pieds, sur le sable d'une allée. Je renouvelle la même opération pour le second pigeon, qui va se placera c?té de son compagnon. Nous les observons attentivement. Quelques secondes se passent. Tout à coup les deux pigeons battent de l'aile et bondissent d'un trait à 100 mètres de haut. Là, ils planent et s'orientent de la tête, ils se tournent vivement vers tous les points de l'horizon, leur bec oscille comme l'aiguille d'une boussole, cherchant un p?le mystérieux. Les voilà bient?t qui ont reconnu leur route, ils filent comme des flèches... en droite ligne dans la direction de Paris!
II
Le gouvernement de Tours.--Les inventeurs de ballons.--Projet de retour à Paris par voie aérienne.--Confection d'un ballon de soie.--Voyage à Lyon.--Les nouveaux débarqués du ciel.--Ascension du _Jean-Bart_.
Du 1er au 15 octobre.
Faire le récit de mon voyage en chemin de fer de Dreux à Tours, par Argentan, par le Mans; dire que dans toutes les gares j'étais re?u comme le Messie tombé du ciel, questionné toujours, partout, et que les curieux m'ont empêché de fermer l'oeil un seul instant pendant mon voyage nocturne, n'offrirait pas grand intérêt. Je préfère arriver tout de suite à Tours où je suis rendu le 1er octobre à sept heures du matin. Mais Tours n'est plus Tours; ce n'est plus la ville paisible et calme que j'ai connue jadis; où les affaires s'élaboraient tranquillement et sans bruit.
Les touristes et les flaneurs ont cessé de s'y donner rendez-vous; les commis-voyageurs ne s'y rencontrent plus dans les h?tels. Tours est animé, regorge de monde; c'est la seconde capitale de France; aussi m'est-il complètement impossible d'y trouver un traversin pour y reposer mes deux oreilles.
Je fais un somme léger sur un divan de l'_h?tel de la Boule-d'Or_, et l'après-midi se passe en visites officielles. J'ai une longue entrevue avec l'amiral Fourichon, qui m'explique comment il n'a pas encore envoyé de troupes au secours de Paris; je lance sur le pont de Tours mon beau pigeon à tête brune, porteur d'une dépêche chiffrée; je vois M. Steenackers, M. Laurier, qui m'affirme qu'il a beaucoup de poigne, et que la France sera sauvée par son ministère; je vois M. et Mme Crémieux, M. Glais-Bizoin, qui me prend pour un député de la droite, et me fait un discours d'une heure. Je suis présenté le soir au conseil des ministres, et sans être ni médisant, ni méchante langue je ne puis m'empêcher de dire que je ne vois nulle part le Carnot qui sauvera la France... Mais je n'ai pas la prétention ni l'autorité propres à juger les hommes et les choses.
La politique n'est pas mon affaire, j'ai rempli ma mission, remettant à chacun les lettres qu'on m'a confiées, répétant de mon mieux tout ce que j'avais à dire; j'ai résolu pendant la guerre d'être aéronaute. Revenons à nos ballons!
Quel pouvait
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