De limportance des livres de raison | Page 2

Louis Guibert
est un registre où le Père
de famille consignait, avec la mention de tous les événements de
Quelque importance survenus dans sa maison ou intéressant les siens,
le compte-rendu détaillé de sa gestion du patrimoine et les faits qui
avaient pu influer sur cette gestion. Le livre de raison--liber rationis,
liber rationum--est avant tout et surtout, comme son nom l'indique, un
livre de comptes. Ce sont donc des comptes qu'on doit s'attendre à y
trouver. Mais le budget d'une famille résume son histoire et sa vie tout
entière. Le Play le savait bien, lui qui, en tête de chacune de ses
précieuses monographies, a placé le budget détaillé du foyer. Aussi
combien de renseignements variés, de mentions intéressantes le lecteur
va rencontrer en feuilletant ces pages bourrées de chiffres et
surchargées de notes! Chaque génération, par la main de son chef, a
écrit dans ces registres ses mémoires intimes, pour les laisser à la
génération qui la suivait, à titre de document pratique, de leçon et aussi
de justification; car le père est responsable, devant les siens comme
devant Dieu, de la famille dont le gouvernement lui a été confié, et plus
absolu est son pouvoir, plus lourde est sa responsabilité.... Le rédacteur
du registre jette parfois un coup d'oeil au-delà de l'horizon domestique
et note les événements extérieurs qui le touchent de près ou qui
l'impressionnent vivement. Il recueille pour lui-même et pour ses
successeurs quantité d'indications utiles et s'empresse de les consigner à
son livre. Tantôt c'est le secret d'une composition pharmaceutique d'une
efficacité cent fois éprouvée, tantôt c'est l'énumération des mystérieuses
propriétés de certaines plantes, de certaines liqueurs, les vertus
magiques de certaines combinaisons de chiffres, de lettres ou de mots.
Voici des prières d'un effet certain et des invocations auxquelles les
saints ne peuvent rester sourds: tout cela entre deux relevés de comptes,
entre une reconnaissance de dette et un bail à cheptel. Le père de
famille copie sur son livre ses inventaires, les contrats qu'il passe dans
les circonstances les plus diverses; il mentionne l'argent qu'il dépense et
l'argent qu'il reçoit, celui qu'il prête, les travaux qu'il fait exécuter, ses
acquisitions, ses procès, ses maladies, et Dieu sait avec quels détails!

La note du médecin prend place au registre à côté de celle du meunier,
du maçon, du boucher et du tailleur. Bref, il y a un peu de tout, ou, pour
parler plus exactement, beaucoup de tout dans ces livres si dédaignés
naguère. On y rencontre surtout ce qu'on ne pourrait espérer de trouver
nulle part ailleurs: des notes intimes, écrites pour les enfants et non
destinées au public.
Sauf quelques indications sommaires données sur trois ou quatre
manuscrits de famille, par M. l'abbé A. Lecler, dans ses notes et ses
additions au Nobiliaire de la Généralité de Limoges, de l'abbé Nadaud,
aucun livre de raison, limousin ou marchois, n'avait encore été, à la
date de 1877, l'objet d'une étude sérieuse. M. Fernand de Malliard eut,
vers cette époque, la bonne fortune de rentrer en possession d'un
registre domestique, embrassant une période de plus d'un siècle et demi
(1507-1662) et concernant sa propre famille: suivant, le premier dans
notre province, les exemples et les conseils de M. de Ribbe, il publia,
dans le Bulletin de la Société scientifique, archéologique et historique
de Brive, de 1879 à 1882, ce précieux et intéressant manuscrit, en le
faisant accompagner de savants commentaires et de notes excellentes,
de nature à décourager les futurs éditeurs de registres domestiques dans
notre pays. Tout en nous résignant à la perspective de présenter au
public un travail moins satisfaisant à beaucoup d'égards, nous avons
pensé néanmoins que la publication de nouveaux documents de ce
genre, en aussi grand nombre que possible, serait une oeuvre utile, et,
sûr de trouver, nous avons cherché, avec le concours de nos excellents
et laborieux confrères, MM. Alfred Leroux, l'abbé Lecler, J.-B.
Champeval, de Cessac. Nous avons été nous-même étonné du résultat
de nos recherches. Qu'on en juge: il y a douze ans, nous ne
connaissions, pour tout l'ancien diocèse de Limoges, que le texte du
seul livre de raison des de Maillard. Actuellement, les bulletins des
diverses sociétés savantes de nos trois départements n'ont pas publié, in
extenso ou par extraits, moins de quarante-deux de ces manuscrits, et le
chiffre total de ceux qu'il nous a été permis d'étudier (y compris les
registres publiés), ou dont l'existence nous est attestée d'une façon
précise et catégorique, s'élève à cent quatre, fournis surtout, il faut le
dire, par les deux départements de la Corrèze et de la Haute-Vienne. Il
serait trop long d'en donner ici le relevé; du reste, il ne faut pas se hâter

de publier ce catalogue afin de ne pas s'exposer à y laisser de trop
importantes lacunes; mais il vous paraîtra peut-être intéressant de
savoir dans
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