la 
mort violente de sa compagne[3]. Dépourvus de ces avantages, les 
autres enfans, trouvés dans un état d'isolement individuel, n'apportèrent 
dans la société que des facultés profondément engourdies, contre 
lesquelles durent échouer, en supposant qu'ils furent tentés et dirigés 
vers leur éducation, tous les efforts réunis d'une métaphysique à peine 
naissante, encore entravée du préjugé des idées innées, et d'une 
médecine, dont les vues nécessairement bornées par une doctrine toute 
mécanique, ne pouvaient s'élever aux considérations philosophiques 
des maladies de l'entendement. Éclairées du flambeau de l'analyse, et se 
prêtant l'une à l'autre un mutuel appui, ces deux sciences ont de nos 
jours dépouillé leurs vieilles erreurs, et fait des progrès immenses. 
Aussi avait-on lieu d'espérer que si jamais il se présentait un individu 
pareil à ceux dont nous venons de parler, elles déploieraient pour son 
développement physique et moral toutes les ressources de leurs 
connaissances actuelles; ou que du moins si cette application devenait 
impossible ou infructueuse, il se trouverait dans ce siècle d'observation 
quelqu'un qui, recueillant avec soin l'histoire d'un être aussi étonnant, 
déterminerait ce qu'il est, et déduirait de ce qu'il lui manque, la somme 
jusqu'à présent incalculée des connaissances et des idées que l'homme 
doit à son éducation. 
[1] Linné en fait monter le nombre jusqu'à dix, et les présente comme 
formant une variété de l'espèce humaine. (Systême de la nature). 
[2] Essai sur l'origine des connaissances humaines, IIe. partie, sect. 
Iere. 
[3] Cette fille fut prise en 1731, dans les environs de 
Châlons-sur-Marne, et élevée dans un couvent de religieuses, sous le 
nom de mademoiselle Leblanc. Elle raconta, quant elle sut parler, 
qu'elle avait vécu dans les bois avec une compagne, et qu'elle l'avait 
malheureusement tuée d'un violent coup sur la tête, un jour qu'ayant
trouvé sur leurs pas un chapelet, elles s'en disputèrent la possession 
exclusive (RACINE, poëme de la Religion). 
Cette histoire quoiqu'elle soit une des plus circonstanciées, est 
néanmoins si mal faite, que si l'on en retranche d'abord ce qu'il y a 
d'insignifiant et puis ce qu'il y a d'incroyable, elle n'offre qu'un 
très-petit nombre de particularités dignes d'être notées, et dont la plus 
remarquable est la faculté qu'avait cette jeune sauvage, de se rappeler 
son état passé. 
Oserai-je avouer que je me suis proposé l'une et l'autre de ces deux 
grandes entreprises? et qu'on ne me demande point si j'ai rempli mon 
but. Ce serait-là une question bien prématurée, à laquelle je ne pourrai 
répondre qu'à une époque encore très-éloignée. Néanmoins je l'eusse 
attendue en silence, sans vouloir occuper le public de mes travaux, si ce 
n'avait été pour moi un besoin, autant qu'une obligation, de prouver, par 
mes premiers succès, que l'enfant sur lequel je les ai obtenus n'est point, 
comme on le croit généralement, un imbécille désespéré, mais un être 
intéressant, qui mérite, sous tous les rapports, l'attention des 
observateurs, et les soins particuliers qu'en fait prendre une 
administration éclairée et philanthropique. 
 
DES PREMIERS DÉVELOPPEMENS DU JEUNE SAUVAGE DE 
L'AVEYRON. 
Un enfant de onze ou douze ans, que l'on avait entrevu quelques années 
auparavant dans les bois de la Caune, entièrement nud, cherchant des 
glands et des racines dont il faisait sa nourriture, fut, dans les mêmes 
lieux, et vers la fin de l'an 7, rencontré par trois chasseurs qui s'en 
saisirent au moment où il grimpait sur un arbre pour se soustraire à 
leurs poursuites. Conduit dans un hameau du voisinage, et confié à la 
garde d'une veuve, il s'évada au bout d'une semaine, et gagna les 
montagnes, où il erra pendant les froids les plus rigoureux de l'hiver, 
revêtu plutôt que couvert d'une chemise en lambeaux, se retirant 
pendant la nuit dans les lieux solitaires, se rapprochant, le jour, des 
villages voisins, menant ainsi une vie vagabonde, jusqu'au jour où il
entra de son propre mouvement dans une maison habitée du canton de 
Saint-Sernin. Il y fut repris, surveillé et soigné pendant deux ou trois 
jours; transféré de là à l'hospice de Saint-Afrique, puis à Rhodez, où il 
fut gardé plusieurs mois. Pendant le séjour qu'il a fait dans ces différens 
endroits, on l'a vu toujours également farouche, impatient et mobile, 
chercher continuellement à s'échapper, et fournir matière aux 
observations les plus intéressantes, recueillies par des témoins dignes 
de foi, et que je n'oublierai pas de rapporter dans les articles de cet 
Essai, où elles pourront ressortir avec plus d'avantage[4]. Un ministre, 
protecteur des sciences, crut que celle de l'homme moral pourrait tirer 
quelques lumières de cet événement. Des ordres furent donnés pour que 
cet enfant fût amené à Paris. Il y arriva vers la fin de l'an 8, sous la 
conduite d'un pauvre et respectable vieillard, qui, obligé de s'en séparer 
peu de tems après, promit de revenir le prendre, et de lui servir de père, 
si jamais la Société venait à l'abandonner. 
[4] Tout ce que je    
    
		
	
	
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