s'acheter ou se donner, s'il se trouve assez de richesses pour la payer, ou de mérite pour l'obtenir en don. L'autre n'est pas une chose qui se vende, et les dieux seuls peuvent en faire don.
IACHIMO.--Et ce don, les dieux vous l'ont fait?
POSTHUMUS.--Oui, et avec leur secours je le conserverai.
IACHIMO.--Vous pouvez le posséder en titre. Mais, vous le savez, des oiseaux étrangers viennent souvent s'abattre sur nos étangs voisins.... Votre bague aussi, on peut vous la voler: ainsi, de cette paire de trésors inappréciables que vous possédez, l'un est bien fragile, et l'autre est casuel. Un adroit filou et un cavalier accompli pourraient tenter de vous les enlever tous deux.
POSTHUMUS.--Votre Italie n'a point de cavalier assez accompli pour triompher de l'honneur de ma ma?tresse, si c'est de la garde ou de la perte de l'honneur que vous prétendez parler, en disant qu'elle est fragile. Je ne doute pas que vous n'ayez des filous en abondance, et pourtant je ne crains rien pour mon anneau.
PHILARIO.--Restons-en là, messieurs.
POSTHUMUS.--Très-volontiers. Ce noble seigneur, et je l'en remercie, ne me traite point en étranger: nous voilà familiers dès l'abord.
IACHIMO.--En cinq entretiens, pas plus longs que le n?tre, je voudrais m'établir dans le coeur de votre belle ma?tresse, et voir sa vertu fléchir et prête à céder, si j'avais seulement accès près d'elle et l'occasion de lui faire ma cour.
POSTHUMUS.--Non, non.
IACHIMO.--J'ose parier là-dessus la moitié de ma fortune contre votre diamant, qui, à mon avis, vaut quelque chose de moins. Mais je fais ma gageure plut?t contre votre confiance que contre sa réputation; et de peur que vous vous en offensiez, j'ajoute que j'oserais le tenter avec quelque femme au monde que ce f?t!
POSTHUMUS.--Vous êtes étrangement abusé par vos idées téméraires: et je ne doute pas qu'il ne nous arrivat ce que vous méritez dans votre tentative.
IACHIMO.--Et quoi?
POSTHUMUS.--D'être repoussé, quoique votre tentative, comme vous l'appelez, méritat quelque chose de plus, un chatiment peut-être.
PHILARIO.--Messieurs, en voilà assez là-dessus: cette vaine dispute s'est élevée trop t?t; qu'elle meure comme elle est née; je vous prie, faites plus ample connaissance.
IACHIMO.--Je voudrais avoir engagé ma fortune et celle de mon voisin au soutien de ce que j'ai avancé.
POSTHUMUS.--Quelle dame choisiriez-vous pour l'assaillir?
IACHIMO.--La v?tre, que vous croyez si bien affermie dans sa constance. Voulez-vous seulement me recommander à la cour où est votre dame? je gagerai dix mille ducats contre votre diamant, que, sans autres avantages que deux entretiens avec elle, je rapporterai de là cet honneur que vous croyez si bien défendu.
POSTHUMUS.--Je consens à parier de l'or, contre votre or. Pour mon anneau, il m'est aussi cher que mon doigt; il en fait partie.
IACHIMO.--Vous êtes amant, et de là vient votre prudence.--Quand vous auriez acheté le corps d'une femme un million la drachme, vous ne pourriez l'empêcher de se corrompre. Mais, je le vois, vous avez dans l'ame quelques scrupules puisque vous avez peur.
POSTHUMUS.--Tout ceci n'est qu'un jargon d'habitude; vous portez, j'espère, des sentiments plus réfléchis.
IACHIMO.--Je suis ma?tre de mes paroles; et je jure que je veux tenter l'épreuve dont j'ai parlé.
POSTHUMUS.--Vous le voulez?--Je ne fais que prêter mon diamant jusqu'à votre retour.--Qu'on dresse entre nous des conventions. Ma ma?tresse surpasse en vertu toute l'étendue de vos indignes pensées. Je vous défie dans cette gageure; voilà ma bague.
PHILARIO.--Je ne souffrirai point qu'elle serve de gage.
IACHIMO.--Par les dieux, c'en est un. Si je ne vous rapporte pas des preuves suffisantes que j'ai joui des plus chers appas de votre ma?tresse, mes dix mille ducats sont à vous, et votre diamant aussi; si je la quitte en laissant sans atteinte cet honneur auquel vous vous fiez, elle qui est votre joyau, le joyau que voilà et mon or, tout est à vous; mais il me faut votre recommandation, afin de me procurer un plus libre accès.
POSTHUMUS.--J'accepte ces conditions. Faisons des conventions entre nous. Voici seulement ce dont vous me répondrez. Si vous faites ce voyage pour la séduire, et que vous me démontriez clairement que vous avez triomphé, je ne suis plus votre ennemi, et elle ne mérite pas notre dispute. Mais si elle reste fidèle, et que vous ne puissiez me prouver le contraire, vous me répondrez l'épée à la main, et de votre mauvaise opinion, et de l'attaque que vous aurez livrée à sa pudeur.
IACHIMO.--Votre main; l'accord est fait. Nous allons faire régler tout cela dans les formes, et je pars sur-le-champ pour la Grande-Bretagne, de peur que notre marché ne pr?t froid et ne se romp?t. Je vais chercher mon or et faire inscrire le pari.
POSTHUMUS.--Convenu.
(Posthumus et Iachimo sortent.)
LE FRAN?AIS.--Le pari tiendra-t-il? Croyez-vous?
PHILARIO.--Le seigneur Iachimo ne reculera pas. Je vous prie, suivons-les.
(Ils sortent.)
SCèNE V
Grande-Bretagne.--Appartement dans le palais de Cymbeline.
LA REINE _para?t avec ses_ DAMES ET CORNéLIUS _tenant une fiole_.
LA REINE, _à ses femmes_.--Tandis que la rosée est encore sur la terre, allez cueillir ces fleurs; hatez-vous. Qui de vous

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