[1] Le prince Victor.
DXLVII 
AU MÊME 
Paris, 28 février 1864. 
Mes chers enfants, 
C'est demain le grand jour! quand vous recevrez ma lettre, j'aurai des bravos ou des 
sifflets, peut-être l'un et l'autre. Ribes ne va pas mieux; il joue quand même et très bien. 
La pièce est mal sue, mais bien comprise et bien jouée. 
_Le duc_-Berton, _Villemer_-Ribes, _Caroline_-Thuillier, _la Marquise_-Ramelli, 
_Pierre_-Rey, sont excellents. 
_Diane de Saintrailles_, charmante, un peu maniérée; _madame d'Arglade_, un peu faible, 
et Clerh-_Benoît_, qui dit quatre mots, ne gâtent rien. 
Le théâtre, depuis le directeur jusqu'aux ouvreuses, dont l'une m'appelle _notre trésor_, 
les musiciens, les machinistes, la troupe, les allumeurs de quinquets, les pompiers, 
pleurent à la répétition comme un tas de veaux et dans l'ivresse d'un succès qui va 
dépasser celui du Champi. Tout ça, c'est la veille, il faut voir le lendemain; s'il y a déroute, 
ce sera autre chose. On annonce toujours une cabale. Les uns la disent formidable; les 
autres disent qu'il n'y aura rien; nous verrons bien. Le moment du calme est venu pour 
moi qui n'ai plus rien à faire que d'attendre l'issue. La salle sera comble et il y en aura 
autant à la porte. De mémoire d'homme, l'Odéon n'a vu une pareille rage. L'empereur et 
l'impératrice assisteront à la première; la princesse Mathilde en face d'eux, le prince et la 
princesse Napoléon au-dessous. M. de Morny, les ministères, la police de l'empereur 
nous prennent trop de place, et ce n'est pas le meilleur de l'affaire. Nous aimerions mieux 
des artistes aux avant-scènes que des diplomates et des fonctionnaires. Ces gens-là ne 
crèvent pas leurs gants blancs contre une cabale. Il n'y a que le prince qui applaudisse 
franchement. 
Enfin, nous y voilà! les décors sont riches et laids. L'orchestre sera rempli de mouchards, 
rien ne manquera à la fête. Marchal ne demande qu'à étriper les récalcitrants. Le parterre 
est pris par des gens en cravate blanche et en habit noir. A demain des nouvelles. 
J'ai vu enfin M. Harmant à l'Odéon. Il m'a dit qu'il viendrait me voir après la pièce. Mario 
Proth va faire un article sur _Callirhoé_[1]. Jourdan en raffole, il est de la religion de 
Marc Valery. 
[1] Roman de Maurice Sand. 
 
DXLVIII 
AU MÊME 
Paris, mardi 1er mars 1864. Deux heures du matin. 
Mes enfants, 
Je reviens escortée par les étudiants aux cris de «Vive George Sand! Vive _Mademoiselle 
La Quintinie!_ A bas les cléricaux!» C'est une manifestation enragée en même temps 
qu'un succès comme on n'en a jamais vu, dit-on, au théâtre. 
Depuis dix heures du matin, les étudiants étaient sur la place de l'Odéon, et, tout le temps 
de la pièce, une masse compacte qui n'avait pu entrer occupait les rues environnantes et la 
rue Racine jusqu'à ma porte. Marie a eu une ovation et madame Fromentin aussi, parce 
qu'on l'a prise pour moi dans la rue. Je crois que tout Paris était là ce soir. Les ouvriers et 
les jeunes gens, furieux d'avoir été pris pour des cléricaux à l'affaire de Gaetana d'About, 
étaient tout prêts à faire le coup de poing. Dans la salle, c'étaient des trépignements et des
hurlements à chaque scène, à chaque instant, en dépit de la présence de toute la famille 
impériale. Au reste, tous applaudissaient, l'empereur comme les autres, et même il a 
pleuré ouvertement. La princesse Mathilde est venue au foyer me donner la main. J'étais 
dans la loge de l'administration avec le prince, la princesse, Ferri, madame d'Abrantès. Le 
prince claquait comme trente claqueurs, se jetait hors de la loge et criait à tue-tête, 
Flaubert était avec nous et pleurait comme une femme. Les acteurs ont très bien joué, on 
les a rappelés à tous les actes. 
Dans le foyer, plus de deux cents personnes que je connais et que je ne connais pas sont 
venues me biger tant et tant, que je n'en pouvais plus. Pas l'ombre d'une cabale, bien qu'il 
y eût grand nombre de gens mal disposés. Mais on faisait taire même ceux qui se 
mouchaient innocemment. 
Enfin, c'est un événement qui met le quartier Latin en rumeur depuis ce matin; toute la 
journée, j'ai reçu des étudiants qui venaient quatre par quatre, avec leur carte au chapeau, 
me demander des places et protester contre le parti clérical en me donnant leurs noms. 
Je ne sais pas si ce sera aussi chaud demain. On dit que oui, et, comme on a refusé trois 
ou quatre mille personnes faute de place, il est à croire que le public sera encore 
nombreux et ardent. Nous verrons si la cabale se montrera. Ce matin, le prince a reçu 
plusieurs lettres anonymes où on lui disait de prendre garde à ce qui se passerait à 
l'Odéon. Rien ne s'est passé, sinon qu'on a chuté les claqueurs de l'empereur à son entrée, 
en    
    
		
	
	
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