Correspondance, 1812-1876 - Tome 3 | Page 2

George Sand
le Dieu nouveau s'appelle Circulus. Tâchons,
dans notre coin, de ne pas devenir ignobles, afin que, si, sur mes vieux jours, ou sur les
tiens, il y a un changement à tout cela, nous puissions en jouir sans rougir de notre passé.
Bonsoir, mon Bouli.

CCLXV
AU MÊME
Nohant, 23 février 1848.
Mon enfant,
Nous sommes bien inquiets ici, comme tu peux croire. Nous savons seulement ce soir que

la journée de mardi a été agitée et que celle d'aujourd'hui a dû l'être encore davantage. Il
faut que tu reviennes tout de suite; non pas que je me livre à de puériles frayeurs, ni que
je veuille te les faire partager, quand même je les éprouverais.
Tu sais bien que je ne te donnerais pas un conseil de couardise. Mais ta place est ici, s'il y
a des troubles sérieux. Une révolution à Paris aurait son contrecoup immédiat dans les
provinces, et surtout ici, où les nouvelles arrivent en quelques heures. Tu as donc des
devoirs à remplir dans ton domicile et ton absence ne serait pas excusable. Je ne te parle
pas de moi: je ne crois à aucun danger personnel et ne suis d'ailleurs pas du tout disposée
à m'en préoccuper. Mais, si j'avais à agir et à me prononcer pour quoi que ce soit, tu es
mon représentant naturel. Viens donc tout de suite, à moins que tu ne voies la tranquillité
absolument rétablie. Laisse à Lambert le soin de nos affaires à Paris. Tu y retourneras
d'ailleurs dans quelques jours, quand nous aurons vu l'état des choses.
Bonsoir, mon enfant; je t'attends. J'espère un mot de toi demain matin. Si la poste n'arrive
pas, c'est que l'affaire aura été sérieuse. Mais tu n'as là, je le répète, aucun devoir à
remplir, et, ici, tu peux en avoir auxquels il ne faut pas manquer.
Je t'embrasse mille fois.
Ta mère.

CCLXVI
AU MÊME
Nohant, 24 février 1848.
Mon enfant,
Ta lettre de mardi, reçue ce matin jeudi, m'a fait grand bien. Dieu veuille que j'en reçoive
encore une demain matin; car on nous a annoncé la journée de mercredi comme devant
être grave, et mes inquiétudes ne sont calmées que pour renaître. Je vois que tu cours et
que tu flânes, je m'y attendais bien; mais, au moins, puisses-tu être prudent et adroit pour
échapper aux chocs de ce grand ébranlement. Si tout est fini, reste à Paris pour achever
tes affaires. Mais, si l'agitation continue, conforme-toi à ma lettre d'hier.
Rollinat est ici jusqu'à dimanche, et nous parlons sans cesse de Paris et de toi. Borie se
lève à huit heures du matin, et court à la Châtre pour me rapporter tes lettres. Bonjour au
petit Lambert; qu'il soit prudent pour lui et pour toi. Bonsoir, mon cher enfant. Je suis
inquiète et je t'aime. Je voudrais être à demain.
Ta mère.

CCLXVII
A M. GIRERD, A NEVERS
Paris, lundi soir, 6 mars 1848.
Mon ami,
Tout va bien. Les chagrins personnels disparaissent quand la vie publique nous appelle et
nous absorbe. La République est la meilleure des familles, le peuple est le meilleur des
amis. Il ne faut pas songer à autre chose.
La République est sauvée à Paris; il s'agit de la sauver en province, où sa cause n'est pas
gagnée. Ce n'est pas moi qui ai fait faire ta nomination: mais c'est moi qui l'ai confirmée;
car le ministre m'a rendue en quelque sorte responsable de la conduite de mes amis, et il
m'a donné plein pouvoir pour les encourager, les stimuler, et les rassurer contre toute
intrigue de la part de leurs ennemis, contre toute faiblesse de la part du gouvernement.

Agis donc avec vigueur, mon cher frère. Dans une situation comme celle où nous
sommes, il ne faut pas seulement du dévouement et de la loyauté, il faut du fanatisme au
besoin. Il faut s'élever, au-dessus de soi-même, abjurer toute faiblesse, briser ses propres
affections si elles contrarient la marche d'un pouvoir élu par le peuple et réellement,
_foncièrement_ révolutionnaire. Ne t'apitoie pas sur le sort de Michel: Michel est riche, il
est ce qu'il a souhaité, ce qu'il a choisi d'être. Il nous a trahis, abandonnés, dans les
mauvais jours. A présent, son orgueil, son esprit de domination se réveillent. Il faudra
qu'il donne à la République des gages certains de son dévouement s'il veut qu'elle lui
donne sa confiance. La députation est un honneur qu'il peut briguer et que son talent lui
assure peut-être. C'est là qu'il montrera ce qu'il est, ce qu'il pense aujourd'hui. Il le
montrera à la nation entière. Les nations sont généreuses et pardonnent à ceux qui
reviennent de leurs erreurs.
Quant au devoir d'un gouvernement provisoire, il consiste à choisir des hommes _sûrs_
pour lancer l'élection dans une voie républicaine et sincère. Que
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