Contes et poésies de Prosper Jourdan: 1854-1866 | Page 3

Prosper Jourdan
votre amitié.?Soyez-leur indulgente et dites-vous sans cesse,?Quand vous lirez ces vers, enfants de ma paresse,?Que l'auteur est bien jeune et que, le ciel l'aidant,?Il pourra faire mieux quand il sera plus grand.?Tachez d'aller au bout. Ma frayeur est extrême,?Songez donc! la jeunesse a besoin d'un appui.?Soyez le mien, et si deux vers vous ont souri,?Ne les oubliez pas; j'ai besoin que l'on m'aime.?Je pars, sans bien savoir même où je vais aller.?Ainsi qu'un oisillon trop prompt à s'envoler?Qui tombe et sur le sol à chaque pas chancelle,?Mon po?me embrouillé, jusqu'à son dernier chant?S'en va tout de travers, et ma muse infidèle?En se moquant de moi trébuche à chaque instant.?O vous qui me lirez! soyez meilleure qu'elle.
Cet exorde entendu, je commence. D'abord?Rosine était comtesse et se respectait fort;?De plus, coquette et veuve à dix-neuf ans. Ensuite,?Dire qu'elle était bien, c'est ce que vous pensez;?Dire qu'elle était mieux ne serait pas assez.?Un pied ... comme la main! et la main si petite?Qu'à peine y voyait-on la place d'un baiser;?Des yeux bleus et foncés, des cils longs à friser,?Et des cheveux!... sachez,--pour les dire plus vite,--?Qu'ils n'étaient bruns ni blonds, avec un reflet tel?Qu'à sa vierge Albéenne en donna Rapha?l.
On dit: de Maison d'Albe et j'écris: Albéenne.?Ce mot-là nous manquait; je mérite un fauteuil.--?Sachez donc qu'un printemps, dans sa villa d'Auteuil,?Notre Contessina s'en fut porter un deuil?D'une tante éloignée et de noblesse ancienne,?Dont vous m'épargnerez de faire l'oraison.?A Paris, dans le monde où Rosine était reine,?De temps à autre un deuil est une bonne aubaine;?Le gris est si divers! et le noir si bon ton!?La paleur, aux yeux bleus donne un si doux rayon!?Puis, moitié pour poser la femme qui s'ennuie,?Moitié pour le printemps dont il faut profiter,?Parmi ses frais lilas Rose alla transporter?Ses amoureux, son luxe et sa mélancolie.
II
C'est l'heure où le soleil empourpre l'horizon?De ses derniers reflets. D'un plus tiède rayon,?Tendre comme une étreinte et doux comme un sourire,?A la terre qu'il quitte il semble vouloir dire?Adieu. Telle en sa chambre, une femme, le soir,?Avant de se coucher prolonge sa toilette?Et reste à se peigner, nonchalante et coquette,?Et, le sourire aux dents, s'attarde à son miroir:?Telle, au déclin du jour, la nature amoureuse?Se pare et se fait belle aux rayons du couchant?Et devient tout à coup plus tendre et plus rêveuse,?Comme fait sa ma?tresse au départ d'un amant.
Rien ne dort à cette heure; et pourtant c'est à peine?Si l'on entend la brise au murmure pensif,?Si l'on distingue au loin le bruit d'une fontaine?Qui coule en murmurant sur le marbre massif?Ou le chant des oiseaux regagnant leur couvée.?Quel calme! différent de celui de la nuit;?Quel silence joyeux entremêlé de bruit!?Il semble, à voir ainsi la campagne noyée?Dans ce dernier baiser d'un soleil palissant,?Que les cieux sont plus doux, que l'ombre est plus amie,?La brise plus riante et plus chère la vie?Et que l'amour, lui-même, en est plus caressant.
On croirait par moments, quand frémit le feuillage,?Voir des ombres passer en se donnant le bras;?évoquer leur fant?me et deviner l'image?D'un monde d'amoureux qu'on ne soup?onnait pas.
Dante! N'était-ce pas ton couple au doux murmure?Qui passait tout à l'heure à travers ce massif??N'était-ce pas son vol dont la tra?nante allure?Le faisait frissonner avec un bruit plaintif??Lovelace sans ame et toi, pale Clarisse,?Est-ce vous qui fuyez en fr?lant les buissons?
Il me semblait entendre, à travers leurs chansons?Monter, comme un écho de ton long sacrifice,?Et mourir sur ta lèvre un soupir de regret,?Pauvre fille! Mon coeur te suivait dans ta peine?Et tandis que ton ombre indécise et sereine?M'apparut, j'ai senti que mon ame pleurait.?Est-ce toi, dis, Manon, immortelle charmeuse??Est-ce ta voix joyeuse et ton rire moqueur??Où vas-tu si légère et si peu soucieuse?De ton indigne amant qui causa ton malheur??O Werther! est-ce toi, pauvre amie déchirée??Viens-tu trouver ce soir ta Charlotte adorée?Au premier rendez-vous que son coeur te donnait?Pour ce monde où tous vont et que nul ne conna?t??Est-ce toi qui gémis, ? frêle Desdémone,?Dont la plainte se mêle au chant des rameaux verts??Hélas! ton coeur criait sous le vent des hivers?Comme fait, sous l'orage, un saule qui frissonne.?Telle une algue battue au caprice des mers!?C'est toi, gai Roméo? Cette forme inquiète?Qui se penche à ton bras, est-ce ta Juliette??Est-ce toi, Marion? Do?a Sol, est-ce toi??Rosine! Camargo! Belcolore au coeur froid!?Répondez, est-ce vous? ou votre chère image?N'est-elle que l'effet d'un bizarre mirage??Est-ce votre fant?me apporté par le vent,?Ainsi qu'aux nuits d'automne un tas de feuille morte,?Que la bise disperse et que l'orage emporte,?Suit l'aquilon qui passe et s'arrête en un champ?
O qui que vous soyez! visions passagères?Ou fant?mes errant dans le jour qui palit,?Qu'il est doux de rêver à vos charmants mystères?Et de sentir en vous notre ame qui frémit!?Mais c'est bien vous; j'entends votre voix qui soupire,?Et vos soupirs sont doux comme un souffle de mai.?Vous passez en silence et je vous vois sourire?Et mon ame ressent
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