Contes et nouvelles | Page 2

Edouard Laboulaye
regardant sa fille, tant?t cherchant le ciel au travers des nuages et du brouillard. ?O honte! disait-elle, ? mis��re! Est-ce l�� que j'en devais venir?? Elle prit son enfant dans ses bras, l'embrassa convulsivement, et enfin se mit �� pleurer.
?Qu'as-tu, maman? disait la petite fille. Pourquoi refuses-tu l'argent que t'envoie cette bonne dame? Tu te plaignais hier de n'avoir pas un peu de bouillon pour moi, tu m'en aurais achet��!
--Tais-toi, tais-toi, Julie, reprit Madeleine; du bouillon, tu en auras; je suis plus riche que tu ne crois.?
Elle ouvrit une malle jet��e dans un coin de la chambre, remua quelques restes de vieux linge, et chercha comme si elle pouvait trouver quelque chose. Mais depuis longtemps tout ��tait vendu, jusqu'�� l'anneau de mariage; il n'y avait plus rien que des chiffons sans valeur.
Madeleine soupira, ferma le vieux coffre, et, regardant autour d'elle, dans ces murs abandonn��s, elle prit l'unique matelas de son lit, c'��tait sa derni��re ressource; elle le chargea sur sa t��te et descendit rapidement l'escalier pour courir au mont-de-pi��t��.
?Ne pleure pas, disait-elle �� l'enfant, qui s'effrayait de rester seule, ne pleure pas! Dans un instant je reviens avec un beau morceau de boeuf, tu m'aideras �� mettre le pot-au-feu; nous ��plucherons ensemble les oignons et les carottes; attends-moi, dans un instant nous nous amuserons, et demain j'aurai du travail. Quand la besogne n'allait pas, ton p��re, le pauvre homme! disait: ?Patience, patience! Dieu n'abandonne pas les honn��tes gens.?

II
On pense que Mlle Rose, si indignement trait��e, n'avait pas gard�� pour elle les paroles de Madeleine; mais Mme de la Guerche ��tait sortie; il n'y avait �� la maison que sa fille, Marie; c'est �� elle que Rose, tout ��mue, et agitant les bras, contait les injures que lui avaient dites cette m��chante femme et les dangers qui l'avaient menac��e.
?Oui, Mademoiselle, disait-elle, les larmes aux yeux, on m'a outrag��e; peu s'en faut qu'on ne m'ait battue. Cela ne me fait rien, je suis au-dessus de ces mis��rables, mais c'est manquer �� Madame et �� vous aussi, Mademoiselle. Du reste, Mme Remy le dit souvent: ?Ces dames sont trop bonnes, aussi on leur manque de respect. Avec les pauvres, il faut ��tre raide quand on leur donne, pour leur faire sentir qu'on les oblige: c'est comme ?a que font toutes les dames comme il faut.?
--C'est bien, que Mme Remy garde ses r��flexions pour elle, et faites comme Mme Remy. Donnez-moi le paquet de flanelle et de linge que j'ai cousu cet hiver.
--Vous sortez de l'appartement, Mademoiselle?
--Oui, je monte chez cette pauvre femme; c'est au sixi��me, la seconde porte �� gauche, n'est-ce pas?
--N'y allez pas, Mademoiselle! Il vous arriverait quelque malheur. Vous ne connaissez pas cette femme; elle a des yeux comme un tigre en furie. Au moins, Mademoiselle, prenez quelqu'un avec vous; je vais appeler Baptiste.
--N'appelez personne, et restez; je n'ai pas besoin de vous.?
Et, au grand effroi de Rose, Marie monta au grenier, sans m��me se retourner pour regarder les gestes ��plor��s de sa femme de chambre.
Pendant que la jeune fille est en chemin, laissez-moi vous faire son portrait; car vous avez devin�� que Mlle de la Guerche, c'est ma cousine Marie.
Elle n'est pas jolie, non, et cependant j'aime �� la voir. Sa taille est lourde, sa d��marche peu gracieuse, sa figure large et carr��e; mais elle a de si beaux yeux, un regard si doux et si limpide, et quand elle rit de sa grande bouche et montre ses belles dents blanches, il y a tant de franchise et de bont�� dans son sourire qu'en v��rit�� je ne connais pas de femme que je pr��f��re �� ma cousine. Elle est pieuse, et m��me d��vote; il ne se passe gu��re de jour qu'on ne la voie �� l'��glise; un sermon est pour elle une f��te, mais sa religion ne g��ne personne; jamais Marie ne se fait valoir; jamais elle ne condamne les autres; elle est toujours pr��te �� d��fendre les absents, �� prot��ger ceux qu'on attaque, �� excuser ceux qui sont tomb��s; je ne sais ce qu'elle entend par religion dans le fond de l'ame, mais au dehors sa religion n'est que douceur et bont��. Marie pense toujours aux autres et jamais �� elle-m��me; elle met son plaisir dans le bonheur d'autrui. Une chr��tienne comme ma cousine convertirait, par son exemple, le monde tout entier. Voil�� pourquoi, malgr�� son peu de beaut��, je n'ai jamais vu de femme plus belle que ma cousine Marie.

III
En portant son unique matelas au mont-de-pi��t��, Madeleine n'avait oubli�� qu'une chose, c'est que, pour sortir de la maison sa derni��re richesse, il lui fallait le consentement de Mme Remy. La majestueuse porti��re avait arr��t�� Madeleine au passage; gardienne jalouse des droits du propri��taire, elle avait signifi�� �� la pauvre femme qu'elle e?t �� remonter son matelas. En vain Madeleine lui expliquait qu'il lui fallait de l'argent pour
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