les gars du pays; la dernière fois qu'on 
l'avait vu, il allait du côté du chêne parlant, et c'était là sans doute qu'il 
lui était arrivé malheur. Le nouveau porcher eut bien soin de n'y jamais 
conduire son troupeau et les autres enfants se gardèrent d'aller jouer de 
ce côté-là. 
Vous me demandez ce qu'Emmi était devenu. Patience, je vais vous le 
dire. 
La dernière fois qu'il était allé à la forêt avec ses bêtes, il avait avisé à 
quelque distance du gros chêne une touffe de favasses en fleurs. La 
favasse ou féverole, c'est cette jolie papilionacée à grappes roses que 
vous connaissez, la gesse tubéreuse; les tubercules sont gros comme 
une noisette, un peu âpres quoique sucrés. Les enfants pauvres en sont 
friands; c'est une nourriture qui ne coûte rien et que les pourceaux, qui 
en sont friands aussi, songent seuls à leur disputer. Quand on parle des 
anciens anachorètes vivant de racines, on peut être certain que le mets 
le plus recherché de leur austère cuisine était, dans nos pays du centre, 
le tubercule de cette gesse. 
Emmi savait bien que les favasses ne pouvaient pas encore être bonnes 
à manger, car on n'était qu'au commencement de l'automne, mais il 
voulait marquer l'endroit pour venir fouiller la terre quand la tige et la 
fleur seraient desséchées. Il fut suivi par un jeune porc qui se mit à 
fouiller et qui menaçait de tout détruire, lorsque Emmi, impatienté de 
voir le ravage inutile de cette bête vorace, lui allongea un coup de sa 
sarclette sur le groin. Le fer de la sarclette était fraîchement repassé et 
coupa légèrement le nez du porc, qui jeta un cri d'alarme. Vous savez 
comme ces animaux se soutiennent entre eux, et comme certains de 
leurs appels de détresse les mettent tous en fureur contre l'ennemi 
commun; d'ailleurs, ils en voulaient depuis longtemps à Emmi, qui ne 
leur prodiguait jamais ni caresses ni compliments. Ils se rassemblèrent 
en criant à qui mieux mieux et l'entourèrent pour le dévorer. Le pauvre
enfant prit la fuite, ils le poursuivirent; ces bêtes ont, vous le savez, 
l'allure effroyablement prompte; il n'eut que le temps d'atteindre le gros 
chêne, d'en escalader les aspérités et de se réfugier dans les branches. 
Le farouche troupeau resta au pied, hurlant, menaçant, essayant de fouir 
pour abattre l'arbre. Mais le chêne parlant avait de formidables racines 
qui se moquaient bien d'un troupeau de cochons. Les assaillants ne 
renoncèrent pourtant à leur entreprise qu'après le coucher du soleil. 
Alors, ils se décidèrent à regagner la ferme, et le petit Emmi, certain 
qu'ils le dévoreraient s'il y allait avec eux, résolut de n'y retourner 
jamais. 
Il savait bien que le chêne passait pour être un arbre enchanté, mais il 
avait trop à se plaindre des vivants pour craindre beaucoup les esprits. 
Il n'avait vécu que de misère et de coups; sa tante était très-dure pour 
lui: elle l'obligeait à garder les porcs, lui qui en avait toujours eu 
horreur. Il était né comme cela, elle lui en faisait un crime, et, quand il 
venait la voir en la suppliant de le reprendre avec elle, elle le recevait, 
comme on dit, avec une volée de bois vert. Il la craignait donc 
beaucoup, et tout son désir eût été de garder les moutons dans une autre 
ferme où les gens eussent été moins avares et moins mauvais pour lui. 
Dans le premier moment après le départ des pourceaux, il ne sentit que 
le plaisir d'être débarrassé de leurs cris farouches et de leurs menaces, 
et il résolut de passer la nuit où il était. Il avait encore du pain dans son 
sac de toile bise, car, durant le siége qu'il avait soutenu, il n'avait pas eu 
envie de manger. Il en mangea la moitié, réservant le reste pour son 
déjeuner; après cela, à la grâce de Dieu! 
Les enfants dorment partout. Pourtant Emmi ne dormait guère. Il était 
malingre, souvent fiévreux, et rêvait plutôt qu'il ne se reposait l'esprit 
durant son sommeil. Il s'installa du mieux qu'il put entre deux 
maîtresses branches garnies de mousse, et il eut grande envie de dormir; 
mais le vent qui faisait mugir le feuillage et grincer les branches 
l'effraya, et il se mit à songer aux mauvais esprits, tant et si bien qu'il 
s'imagina entendre une voix grêle et fâchée qui lui disait à plusieurs 
reprises: 
--Va-t'en, va-t'en d'ici!
D'abord Emmi, tremblant et la gorge serrée, ne songea point à répondre; 
mais, comme, en même temps que le vent s'apaisait, la voix du chêne 
s'adoucissait et semblait lui murmurer à l'oreille d'un ton maternel et 
caressant: «Va-t'en, Emmi, va-t'en!» Emmi se sentit le courage de 
répondre: 
--Chêne, mon beau chêne, ne me renvoie pas. Si je descends, les loups 
qui courent la nuit me mangeront. 
--Va, Emmi, va! reprit la voix    
    
		
	
	
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