Contes des fees | Page 8

Robert de Bonnières
charmants, les chairs amignonnées
Comme au matin des
roses fleuronnées,
Et les yeux bleus du bleu profond des eaux.

--D'un trait à l'autre on ne vit le passage--
Et puis drap d'or, taffetas et
satin,
Couleur d'iris et couleur du matin
Lui font gentils cotillon et
corsage.
Elle sauta du lit pour mieux causer,
Ayant un astre au front,
qui l'illumine.
Lors elle était de si gentille mine,
Qu'il eût fallu le
Roi pour l'épouser!
C'était alors une ordinaire chose
Que Fée errante et Fantômes
changeants:
Aussi ni l'un ni l'autre de nos gens
Ne s'étonna de la
métamorphose.
--«Ami, je suis satisfaite de vous,»
Leur dit la Fée; et sa voix
naturelle
Etait ainsi qu'un chant de tourterelle,
Et son sourire encor
était si doux,
Que nos bons vieux en furent vite à l'aise.
--«Ça,
faites-moi de grands souhaits, je veux
En un moment accomplir tous
vos voeux,»
Reprit la Fée.
MULOT
«Eh! ne vous en déplaise,
De votre part, c'est bien de la bonté.
LA FÉE
«Dis, que veux-tu pour bonne récompense?
MULOT
«Dam! rien.
LA FÉE
«Quoi! rien?

MULOT
«Rien du moins que je pense.»
LA FÉE
--«Oh! oh! Le cas est rare en vérité,
Et je vois bien qu'il faut que je
vous aide.
--«Et je sais trop, se dit-elle en songeant,
«Par où le
prendre: il n'est souci d'argent
Que l'homme riche ou pauvre ne
possède.»
Et ce disant la Feé avait raison:
Dépense induit en
nouvelle dépense.
Richesse autant que misère dispense
D'avoir un
sou vaillant à la maison.
LA FÉE
«Ami Mulot, veux-tu devenir riche
A ton souhait?
MULOT
«Et ne le suis-je pas?
Ma femme et moi faisons nos deux repas,
Ma
belle Dame, et mon bien n'est en friche.
J'ai pour ma vache assez de
foin fauché,
Mes trois pommiers emplissent dix corbeilles.
«Je
mouds vingt sacs de seigle, et les abeilles
Valent, par an, deux écus
au marché.
Je puis encor tous les jours de l'année
--Sans vous
fâcher--donner aux pauvres gens,
Clercs en voyage ou moines
indigents,
L'aide du ciel que je vous ai donnée.
LA FÉE (à part.)
--«Le Roi toujours n'eut si bon compagnon,
Et noble coeur fait
souche de noble homme.
Mulot, ma foi! serait bon gentilhomme.

On en a vu bien d'autres: pourquoi non?
(S'adressant à Mulot.)
«Maître Mulot, veux-tu que je te fasse
Seigneur céans, écuyer ou

baron?
J'attacherai moi-même l'éperon.
Tu prendras nom Mulot de
Bonne-Face;
Et tu pourras porter en mon honneur
Le champ d'azur
de mon blason de Fée
Dragon d'argent et colombe coiffée.
Et si sur
ce quelque beau raisonneur
Vient à gloser, il l'ira dire à Rome!»
MULOT
--«Je suis certain, belle Dame, à vous voir
Que vous avez magnifique
pouvoir
Et ne voulez vous rire d'un pauvre homme.
Mais,
voyez-vous, honneurs sont dangereux.
L'autre semaine en notre
voisinage
Un vieux Seigneur, à peu près de mon âge,
Fut bien occis
aux croix du chemin creux.
Il fut, pourtant, charitable en sa vie,
De
bon esprit comme de bon aloi.
Je ne pourrais, en mon nouvel emploi,

Non mieux que lui, me garder de l'envie.
Car je ne suis bien savant
ni bien fort,
Et n'eus jamais encrier ni rapière.
Et sans compter que
mon cousin Grand-Pierre
Se gausserait certe, et n'aurait pas tort.»
III
COMMENT LA FÉE VOULUT RENDRE A MULOT ET A
MULOTTE
LA JEUNESSE, ET DE LA BONNE ODEUR DE

LILAS QUI SE RÉPANDIT DANS LA CABANE
Quoiqu'un peu sotte en toute cette affaire,
La bonne Fée eut le coeur
de chercher
Quel nouveau don le pourrait bien toucher
Et quel
grand bien elle lui pourrait faire:
Et tout à coup elle lui demanda:
--«Aimes-tu bien ta femme?
MULOT
«Il n'est, pardienne!
Bonne besogne encore que la sienne.
LA FÉE
«Et l'as-tu bien toujours aimée?

MULOT
«Oui-da!
Je m'en souviens, elle était de votre âge,
C'était le mois
qui suivit la moisson,
Il se peut bien alors qu'un bon garçon
Fasse
sa cour sans manquer à l'ouvrage.
Et, sans avoir le teint que vous avez,

Elle était bonne et belle à sa manière
Et fraîche ainsi qu'une fleur
printanière.
Bref, en deux mois nous étions arrivés
(Nous
connaissant déjà de longue date)
A nous aimer. Si bien que les
voisins
En me voyant ramener ses poussins,
Fendre le bois et lui
porter sa jatte,
Disaient:--A quand la noce et le repas?
Quoique la
chose encor ne fût pas faite,
Car les parents sont toujours de la fête.

Et cependant ils ne se trompaient pas.
J'étais un gars de quelque
économie,
Et je sus bien, le jour qu'il en fut temps,
Aller quérir
vingt bons sous d'or comptants
Pour les bailler aux parents de ma mie.

Et depuis, dam! j'ai semé notre blé,
Et nous avons vécu toujours
ensemble.
N'est-ce pas tout vous dire, ce me semble?
Le temps,
ainsi que l'eau coule, a coulé.»
--«Maître Mulot,» lui dit la bonne Fée,
--Et dans l'instant, le vent de
renouveau
Qui remplit l'air vous eût pris le cerveau,
Comme un
parfum de lilas par bouffée.--
«Maître Mulot, veux-tu redevenir

Jeune, et revivre une jeunesse telle
Avec Mulotte?--Et Mulotte
veut-elle
En même temps que Mulot rajeunir?
Parle, Mulot,--et
parle aussi, Mulotte;
Car jusqu'ici tu n'as beaucoup parlé,
Et Fée ou
femme, en notre démêlé,
N'eût pas manqué de porter la culotte.»
Mulotte, ainsi qu'elle eût fait à vingt ans,
Baissa les yeux; car, pour
femme soumise,
Parler devant son homme n'est de mise:
L'exemple
est bon aux femmes de tous temps.
Et
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