lointains éclats de rire; un fifre et 
un tambourin se firent entendre, et la brise nous apporta des bruits affaiblis de danse. 
Nous nous étions arrêtés, l'oreille tendue, tout disposés à voir dans cette musique le bal 
mystérieux des sylphes. Nous nous glissâmes d'arbre en arbre, dirigés par le son des 
instruments; puis, lorsque nous eûmes écarté avec précaution les branches du dernier 
massif, voici le spectacle qui s'offrit à nos yeux. 
Au centre d'une clairière, sur une bande de gazon entourée de genévriers et de pistachiers 
sauvages, allaient et venaient en cadence une dizaine de paysans et de paysannes. Les 
femmes nu-tête, la gorge cachée sous un fichu, sautaient franchement, en laissant 
échapper ces éclats de rire que nous avions entendus; les hommes, pour danser plus à 
l'aise, avaient jeté leurs vêtements parmi leurs outils de travail qui brillaient dans l'herbe. 
Ces braves gens faisaient peu de cas de la mesure. Adossé contre un chêne, un homme, 
sec et anguleux, jouait du fifre, en frappant de la main gauche sur un tambourin au son 
grêle, selon la mode de Provence. Il semblait suivre avec amour la mesure pressée et 
criarde. Parfois son regard s'égarait sur les danseurs; il haussait alors les épaules de pitié. 
Musicien juré de quelque gros village, il avait été arrêté comme il passait par là, et ne 
pouvait voir sans colère ces habitants de l'intérieur des campagnes violer ainsi les lois de 
la belle danse. Blessé durant le quadrille par les sauts, par les trépignements des paysans, 
il rougit d'indignation, lorsque, l'air achevé, ils continuèrent leurs enjambées, cinq 
grandes minutes, sans paraître se douter seulement de l'absence du fifre et du tambourin. 
Il eût été charmant sans doute de surprendre les lutins de la forêt dans leurs ébats 
mystérieux. Mais, au moindre souffle, ils se fussent évanouis; et courant à la salle de bal, 
à peine eussions-nous trouvé, pour trace de leur passage, quelques brins d'herbe
légèrement courbés. C'eût été moquerie: nous faire entendre leurs rires, nous inviter à 
partager leur joie, puis s'enfuir à noire approche, sans nous permettre le moindre 
quadrille. 
On ne pouvait danser avec des sylphes, Ninette; avec des paysans, rien n'était d'une 
réalité plus engageante. 
Nous sortîmes brusquement du massif. Nos bruyants danseurs n'eurent garde de s'envoler. 
Ils ne s'aperçurent même que longtemps après de notre présence. Ils s'étaient remis à 
gambader. Le joueur de fifre, qui avait fait mine de s'éloigner, ayant vu briller quelques 
pièces de monnaie, venait de reprendre ses instruments, battant et soufflant de nouveau, 
tout en soupirant de prostituer ainsi la mélodie. Je crus reconnaître la mesure lente et 
insaisissable d'une valse. J'enlaçais déjà ta taille, j'épiais l'instant de t'emporter dans mes 
bras, lorsque tu te dégageas vivement pour te mettre à rire et à sauter, tout comme une 
brune et hardie paysanne. L'homme au tambourin, que mes préparatifs de beau danseur 
consolaient, n'eut plus qu'à se voiler la face et à gémir sur la décadence de l'art. 
Je ne sais pourquoi, Ninon, je me souvins hier soir de ces folies, de notre longue course, 
de nos danses libres et rieuses. Puis, ce vague souvenir fut suivi de cent autres vagues 
rêveries. Me pardonneras-tu de te les conter? Cheminant au hasard, m'arrêtant et courant 
sans raison, je m'inquiète peu de la foule; mes récits ne sont que de bien pâles ébauches: 
mais tu m'as dit les aimer. 
La danse, cette nymphe pudiquement lascive, me charme plutôt qu'elle ne m'attire. J'aime, 
simple spectateur, à la voir secouer ses grelots sur le monde; voluptueuse sous les cieux 
d'Espagne et d'Italie, se tordre en étreintes, en baisers de feu; long voilée dans la blonde 
Allemagne, glisser amoureusement comme un rêve; et même discrète et spirituelle, 
marcher dans les salons de France. J'aime à la retrouver partout: sur la mousse des bois 
comme sur de riches tapis; à la noce de village ainsi que dans les soirées étincelantes. 
Mollement renversée, l'oeil humide, les lèvres entr'ouvertes, elle a traversé les temps, en 
nouant et dénouant ses bras sur sa tête blonde. Toutes les portes se sont ouvertes, au bruit 
cadencé de ses pas, celles des temples, celles des joyeuses retraites; là parfumée d'encens, 
ici la robe rougie de vin, elle a frappé harmonieusement le sol; et après tant de siècles, 
elle nous arrive, souriante, sans que ses membres souples pressent ou retardent la 
mélodieuse cadence. 
Vienne donc la déesse. Les groupes se forment, les danseuses se cambrent sous l'étreinte 
des danseurs. Voici l'immortelle. Ses bras levés tiennent un tambour de basque; elle 
sourit, puis donne le signal; les couples s'ébranlent, suivent ses pas, imitent ses altitudes. 
Et moi, j'aime à suivre des yeux le tourbillon léger; je cherche à surprendre tous les 
regards, toutes les paroles d'amour; j'ai l'ivresse du rhythme, dans le coin perdu où je rêve, 
remerciant l'immortelle, si    
    
		
	
	
	Continue reading on your phone by scaning this QR Code
	 	
	
	
	    Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the 
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.