cependant et 
savait que sa réputation d'avarice, dont tout le monde plaisantait, 
reposait sur des faits certains; mais il s'était dit que, si le propriétaire 
refusait obstinément tout prêt amical, qui ne devait servir qu'à payer des 
dettes de jeunesse, le poète pouvait très bien vouloir remplir le rôle de 
la Providence et sauver du naufrage, sans rien risquer, un homme 
d'avenir qui, plus tard, lui rendrait ce service reçu. Et c'était dans ces 
conditions qu'il avait risqué sa demande. Le propriétaire avait répondu; 
le poète s'était tu. Maintenant, rien à attendre de personne. Celui-là était 
le dernier. 
En expliquant sa situation à Glady, il en avait plutôt atténué la misère 
qu'il ne l'avait exagérée. Ce n'était pas seulement à son tapissier qu'il 
devait, c'était aussi à son tailleur, à son bottier, au charbonnier, à son 
concierge, à tous ceux avec qui il était en relations. En réalité, ses 
créanciers ne l'avaient pas trop harcelé jusqu'à ce jour, parce qu'ils 
comptaient être payés, mais il n'en allait plus être de même quand ils le 
verraient poursuivi: eux aussi mettraient les huissiers en marche; alors 
comment se défendrait-il? Comment vivrait-il? Il n'aurait d'autre 
ressource que de retourner à l'hôtel du Sénat, où ils ne le laisseraient 
pas tranquille, ou bien de s'en aller dans son pays natal se faire médecin 
de campagne. Dans l'un comme dans l'autre cas c'était le renoncement à 
toutes ses ambitions. Mieux ne valait-il pas la mort? 
A quoi était bonne la vie si elle ne lui donnait rien de ce qu'il avait rêvé 
et de ce qu'il voulait? 
Comme beaucoup de ceux qui sont en contact habituel avec la mort, la 
vie était en soi peu de chose pour lui, la sienne aussi bien que celle des 
autres. Avec Hamlet il disait: «Mourir... dormir, rien de plus», mais 
sans ajouter: «Mourir... dormir, rêver peut-être», bien certain que les 
morts ne rêvait pas; et qu'y a-t-il de meilleur que de dormir pour ceux 
dont la route a été dure? 
Il restait ainsi absorbé dans sa pensée, lorsqu'un corps, s'interposant 
entre lui et le bec de gaz vacillant, projeta une ombre sur sa tête qui 
machinalement le fit se redresser. Qui était là? Simplement un sergent 
de ville qui était venu s'adosser au parapet sur lequel lui-même 
s'appuyait, il comprit: assurément son attitude était celle d'un homme 
qui va se jeter à la rivière et le sergent de ville se postait là pour l'en
empêcher. 
--Merci! dit-il au sergent de ville ébahi. 
Et il reprit sa route, marchant vite, mais entendant distinctement 
l'homme de police qui lui emboîtait le pas, le prenant pour un fou qu'il 
faut surveiller. 
Quand il quitta le pont des Saints-Pères pour la place du Carrousel, 
cette surveillance cessa, et il put revenir à ses réflexions librement, au 
moins aussi librement que le permettaient son trouble et son 
découragement: 
--Ce sont les faibles qui se tuent; les forts luttent jusqu'à leur dernier 
souffle. 
Et, si bas qu'il fût, il n'en était pas encore à ce dernier souffle. 
Lorsqu'il s'était décidé à s'adresser à Glady, il avait hésité entre celui-ci 
et un usurier appelé Caffié qu'il ne connaissait pas personnellement, 
mais dont il avait souvent entendu parler comme d'un vrai coquin 
s'occupant de toute sorte d'affaires, des mauvaises de préférence aux 
bonnes, de successions, de mariages, d'interdictions, de chantages; et, 
s'il n'avait-point été à lui, c'était autant par crainte d'être refusé que par 
peur de se mettre dans de pareilles mains, au cas où elles voudraient 
bien l'accepter. Mais ces scrupules et ces craintes n'étaient plus de 
saison: puisque Glady lui manquait, coûte que coûte et quoi qu'il pût en 
advenir, il fallait bien se retourner du côté du coquin. 
Il savait que Caffié demeurait rue Sainte-Anne, mais il ignorait son 
numéro: il n'eût qu'à entrer chez un de ses clients, marchand de vin, rue 
Thérèse, pour le trouver en consultant le Bottin. C'était à deux pas; et 
tout de suite il décida de risquer l'aventure; l'affaire pressait. Découragé 
par toutes les démarches qu'il avait essayées jusqu'à ce jour, rebuté par 
les espoirs trahis, irrité par les rebuffades reçues, il ne s'abusait pas sur 
les chances de cette dernière tentative, mais enfin il devait la faire, si 
peu solides que fussent ces chances. 
C'était une vieille maison de la butte des Moulins qu'habitait Caffié et 
qui, autrefois, avait dû être un hôtel particulier: elle se composait de 
deux corps de bâtiment, l'un sur la rue, l'autre sur une cour intérieure. 
Une porte cochère donnait accès dans cette cour, et sous sa voûte, après 
un escalier, se trouvait la loge du concierge. Ce fut vainement que 
Saniel frappa à cette porte: fermée à clef, elle ne s'ouvrit point; il dut 
attendre quelques instants et, dans son impatience nerveuse, il se mit à
marcher en long et en large    
    
		
	
	
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