qu'un monsieur qui, en l'an de grâce 1851, dans un 
temps prosaïque comme le nôtre, demande à ressentir «les orages du 
coeur» est un personnage qui prête à la plaisanterie. 
Mais de cela je n'ai point souci. D'ailleurs, parmi ceux qui seraient les 
premiers à rire de moi si je faisais une confession publique, combien en 
trouverait-on qui ne se seraient jamais laissé entraîner par les joies ou 
par les douleurs de la passion! Dieu merci, il y a encore des gens en ce
monde qui pensent que le coeur est autre chose qu'un organe conoïde 
creux et musculaire. 
Je suis de ceux-là, et je veux que ce coeur qui me bat sous le sein 
gauche, ne me serve pas exclusivement à pousser le sang rouge dans 
mes artères et à recevoir le sang noir que lui rapportent mes veines. 
Mes désirs se réaliseront-ils? Je n'en sais rien. 
Mais il suffit que cela soit maintenant possible, pour que déjà je me 
sente vivre. 
Ce qui arrivera, nous le verrons. Peut-être rien. Peut-être quelque chose 
au contraire. Et j'ai comme un pressentiment que cela ne peut pas tarder 
beaucoup. Donc, à bientôt. 
Un voyage au pays du sentiment, pour toi cela doit être un voyage 
extraordinaire et fantastique,--en tous cas il me semble que cela doit 
être aussi curieux que la découverte du Nil blanc. 
Le Nil, on connaîtra un jour son cours; mais la femme, connaîtra-t-on 
jamais sa marche? Saura-t-on d'où elle vient, où elle va? 
 
II 
En me donnant Marseille pour lieu de garnison, le hasard m'a envoyé 
en pays ami, et nulle part assurément je n'aurais pu trouver des relations 
plus faciles et plus agréables. 
Mon père, en effet, a été préfet des Bouches-du-Rhône pendant les 
dernières années de la Restauration, et il a laissé à Marseille, comme 
dans le département, des souvenirs et des amitiés qui sont toujours 
vivaces. 
Pendant les premiers jours de mon arrivée, chaque fois que j'avais à me 
présenter ou à donner mon nom, on m'arrêtait par cette interrogation:
--Est-ce que vous êtes de la famille du comte de Saint-Nérée qui a été 
notre préfet? 
Et quand je répondais que j'étais le fils de ce comte de Saint-Nérée, les 
mains se tendaient pour serrer la mienne. 
--Quel galant homme! 
--Et bon, et charmant. 
--Quel homme de coeur! 
Un véritable concert de louanges dans lequel tout le monde faisait sa 
partie, les grands et les petits. 
Il est assez probable que mon père ne me laissera pas autre chose que 
cette réputation, car s'il a toujours été l'homme aimable et loyal que 
chacun prend plaisir à se rappeler, il ne s'est jamais montré, par contre, 
bien soigneux de ses propres affaires, mais j'aime mieux cette 
réputation et ce nom honoré pour héritage que la plus belle fortune. Il y 
a vraiment plaisir à être le fils d'un honnête homme, et je crois que dans 
les jours d'épreuves, ce doit être une grande force qui soutient et 
préserve. 
En attendant que ces jours arrivent, si toutefois la mauvaise chance veut 
qu'ils arrivent pour moi, le nom de mon père m'a ouvert les maisons les 
plus agréables de Marseille et m'a fait retrouver enfin ces relations et 
ces plaisirs du monde dont j'ai été privé pendant six ans. Depuis que je 
suis ici, chaque jour est pour moi un jour de fête, et je connais déjà 
presque toutes les villas du Prado, des Aygalades, de la Rose. Pendant 
la belle saison, les riches commerçants n'habitent pas Marseille, ils 
viennent seulement en ville au milieu de la journée pour leurs affaires; 
et leurs matinées et leurs soirées ils les passent à la campagne avec leur 
famille. Celui qui ne connaîtrait de Marseille que Marseille, n'aurait 
qu'une idée bien incomplète des moeurs marseillaises. C'est dans les 
riches châteaux, les villas, les bastides de la banlieue qu'il faut voir le 
négociant et l'industriel; c'est dans le cabanon qu'il faut voir le 
boutiquier et l'ouvrier. J'ai visité peu de cabanons, mais j'ai été reçu
dans les châteaux et les villas et véritablement j'ai été plus d'une fois 
ébloui du luxe de leur organisation. Ce luxe, il faut le dire, n'est pas 
toujours de très-bon goût, mais le goût et l'harmonie n'est pas ce qu'on 
recherche. 
On veut parler aux yeux avant tout et parler fort. N'a de valeur que ce 
qui coûte cher. Volontiers on prend l'étranger par le bras, et avec une 
apparente bonhomie, d'un air qui veut être simple, on le conduit devant 
un mur quelconque:--Voilà un mur qui n'a l'air de rien et cependant il 
m'a coûté 14,000 francs; je n'ai économisé sur rien. C'est comme pour 
ma villa, je n'ai employé que les meilleurs ouvriers, je les payais 10 
francs par jour; rien qu'en ciment ils m'ont dépensé 42,000 francs. 
Aussi tout a été soigné et autant que    
    
		
	
	
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