à s'intéresser à mon neveu dès la moindre sommation de ma
part. 
Je devais me tenir pour satisfaite, et je feignis de l'être; mais la précoce 
indépendance de Paul me rendait un peu soucieuse. Je faisais de tristes 
réflexions sur l'esprit d'individualisme qui s'empare de plus en plus de 
la jeunesse. Je voyais, d'une part, Césarine s'arrangeant, avec des 
calculs instinctifs assez profonds, pour gouverner tout le monde. 
D'autre part, je voyais Paul se mettant en mesure, avec une hauteur 
peut-être irréfléchie, de n'être dirigé par personne. Que mon élève, 
gâtée par le bonheur, crût que tout avait été créé pour elle, c'était d'une 
logique fatale, inhérente à sa position; mais que mon pauvre filleul, aux 
prises avec l'inconnu, déclarât qu'il ferait sa place tout seul et sans aide, 
cela me semblait une outrecuidance dangereuse, et j'attendais son 
premier échec pour le ramener à moi comme à son guide naturel. 
Peu à peu, l'influence de Césarine agissant à la sourdine et sans relâche, 
aidée du secret désir de sa tante Helmina, les relations que sa mère lui 
avait créées se renouèrent. Les échanges de visites devinrent plus 
fréquents; des personnes qu'on n'avait pas vues depuis un an furent 
adroitement ramenées: on accepta quelques invitations d'intimité, et à la 
fin du deuil on parla de payer les affabilités dont on avait été l'objet en 
rouvrant les petits salons et en donnant de modestes dîners aux 
personnes les plus chères. Cela fut concerté et amené par la tante et la 
nièce avec tant d'habileté que M. Dietrich ne s'en douta qu'après un 
premier résultat obtenu. On lui fit croire que la réunion avait été, par 
l'effet du hasard, plus nombreuse qu'on ne l'avait désiré. Un second 
dîner fut suivi d'une petite soirée où l'on fit un peu de musique sérieuse, 
toujours par hasard, par une inspiration de la tante, qui avait vu l'ennui 
se répandre parmi les invités, et qui croyait faire son devoir en 
s'efforçant de les distraire. 
La semaine suivante, la musique sacrée fit place à la profane. Les 
jeunes amis des deux sexes chantaient plus ou moins bien. Césarine 
n'avait pas de voix, mais elle accompagnait et déchiffrait on ne peut 
mieux. Elle était plus musicienne que tous ceux qu'elle feignait de faire 
briller, et dont elle se moquait intérieurement avec un ineffable sourire 
d'encouragement et de pitié.
Au bout de deux mois, une jeune étourdie joua sans réflexion une valse 
entraînante. Les autres jeunes filles bondirent sur le parquet. Césarine 
ne voulut ni danser, ni faire danser; on dansa cependant, à la grande 
joie de mademoiselle Helmina et à la grande stupéfaction des 
domestiques. On se sépara en parlant d'un bal pour les derniers jours de 
l'hiver. 
M. Dietrich était absent. Il faisait de fréquents voyages à sa propriété de 
Mireval. On ne l'attendait que le surlendemain. Le destin voulut que, 
rappelé par une lettre d'affaires, il arrivât le lendemain de cette soirée, à 
sept heures du matin. On s'était couché tard, les valets dormaient 
encore, et les appartements étaient restés en désordre. M. Dietrich, qui 
avait conservé les habitudes de simplicité de sa jeunesse, n'éveilla 
personne; mais, avant de gagner sa chambre, il voulut se rendre compte 
par lui-même du tardif réveil de ses gens, et il entra dans le petit salon 
où la danse avait commencé. Elle y avait laissé peu de traces, vu que, 
s'y trouvant trop à l'étroit, on avait fait invasion, tout en sautant et 
pirouettant, dans la grande salle des fêtes. On y avait allumé à la hâte 
des lustres encore garnis des bougies à demi consumées qui avaient 
éclairé les derniers bals donnés par madame Dietrich. Elles avaient vite 
brûlé jusqu'à faire éclater les bobèches, ce qui avait été cause d'un 
départ précipité: des voiles et des écharpes avaient été oubliés, des 
cristaux et des porcelaines où l'on avait servi des glaces et des 
friandises étaient encore sur les consoles. C'était l'aspect d'une orgie 
d'enfants, une débauche de sucreries, avec des enlacements de traces de 
petits pieds affolés sur les parquets poudreux. M. Dietrich eut le coeur 
serré, et, dans un mouvement d'indignation et de chagrin, il vint écouter 
à ma porte si j'étais levée. Je l'étais en effet; je reconnus son pas, je 
sortis avec lui dans la galerie, m'attendant à des reproches. 
Il n'osa m'en faire: 
--Je vois, me dit-il avec une colère contenue, que vous n'avez pas pris 
part à des folies que vous n'avez pu empêcher.... 
--Pardon, lui dis-je, je n'ai eu aucune velléité d'amusement, mais je n'ai 
pas quitté Césarine d'un instant, et je me suis retirée la dernière. Si vous 
me trouvez debout, c'est que je n'ai pas dormi. J'avais du souci en
songeant qu'on vous cacherait cette petite fête et en me demandant si je 
devais me taire ou faire l'office humiliant de délateur. Nous voici, 
monsieur    
    
		
	
	
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