morte qui maintenant souriait là-bas, s'avançait, tendait les 
bras. 
Et plus ressemblante ainsi, ressemblante à en pleurer, avec ses yeux 
dont le bistre accentuait le crépuscule, avec ses cheveux apparents, d'un 
or unique comme l'autre... 
Saisissante apparition, toute fugitive, sur laquelle bientôt le rideau 
tomba. 
Hugues, la tête en feu, bouleversé et rayonnant, s'en retourna au long 
des quais, comme halluciné encore par la vision persistante qui ouvrait 
toujours devant lui, même dans la nuit noire, son cadre de lumière... 
Ainsi le docteur Faust, acharné après le miroir magique où la céleste 
image de femme se dévoile! 
IV 
Hugues eut vite fait d'être renseigné sur elle. Il sut son nom: Jane Scott, 
qui figurait en vedette sur l'affiche; elle résidait à Lille, venant deux 
fois par semaine, avec la troupe dont elle faisait partie, donner des 
représentations à Bruges. 
Les danseuses ne passent guère pour être puritaines. Un soir donc, 
induit à se rapprocher d'elle par le charme douloureux de cette 
ressemblance, il l'aborda. 
Elle répondit, sans avoir l'air surpris et comme s'attendant à la rencontre, 
d'une voix qui bouleversa Hugues jusqu'à l'âme. La voix aussi! La voix 
de l'autre, toute semblable et réentendue, une voix de la même couleur, 
une voix orfévrée de même. Le démon de l'Analogie se jouait de lui! 
Ou bien y a-t-il une secrète harmonie dans les visages et faut-il qu'à tels 
yeux, à telle chevelure corresponde une voix appariée? 
Pourquoi n'aurait-elle pas également la parole de la morte puisqu'elle 
avait ses prunelles dilatées et noires dans de la nacre, ses cheveux d'or 
rare et d'un alliage qui semblait introuvable? En la voyant maintenant
de plus près, de tout près, nulle différence ne s'avérait entre la femme 
ancienne et la nouvelle. Hugues en demeurait confondu et que celle-ci, 
malgré les poudres, le fard, la rampe qui brûle, eût le même teint 
naturel de pulpe intacte. Et, dans l'allure aussi, rien du genre désinvolte 
des danseuses: une toilette sobre, un esprit qui semblait réservé et doux. 
Plusieurs fois, Hugues la revit, conversa avec elle. Le sortilège de la 
ressemblance opérait... Il n'avait eu garde cependant de retourner au 
théâtre. Le premier soir, ç'avait été une manigance adorable de la 
destinée. Puisqu'elle devait être pour lui l'illusion de sa morte retrouvée, 
il était juste qu'elle lui apparût d'abord comme une ressuscitée, 
descendant d'un tombeau parmi un décor de féerie et de clair de lune. 
Mais désormais il n'entendait plus se la figurer ainsi. Elle était la morte 
redevenue femme, ayant recommencé sa vie à l'ombre, s'habillant 
d'étoffes tranquilles. Pour que l'évocation fût sauve, Hugues ne voulut 
plus voir la danseuse qu'en toilette de ville, mieux ressemblante ainsi et 
toute pareille. 
Maintenant il allait la visiter souvent, chaque fois qu'elle jouait, 
l'attendant à l'hôtel où elle descendait. D'abord il se contenta du 
mensonge consolant de son visage. Il cherchait dans ce visage la figure 
de la morte. Pendant de longues minutes, il la regardait, avec une joie 
douloureuse, emmagasinant ses lèvres, ses cheveux, son teint, les 
décalquant au fil de ses yeux stagnants... Élan, extase du puits qu'on 
croyait mort et où s'enchâsse une présence. L'eau n'est plus nue; le 
miroir vit! 
Pour s'illusionner aussi avec sa voix, il baissait parfois les paupières, il 
l'écoutait parler, il buvait ce son, presque identique à s'y méprendre, 
sauf par instant un peu de sourdine, un peu d'ouate sur les mots. C'était 
comme si l'ancienne eût parlé derrière une tenture. 
Pourtant, de cette première apparition sur la scène, un souvenir 
troublant persistait: il avait entrevu ses bras nus, sa gorge, la ligne 
souple du dos et se les imaginait aujourd'hui dans la robe close. 
Une curiosité de chair s'infiltra.
Qui dira les passionnées étreintes d'un couple qui s'aime, longuement 
séparé? Or la mort ici n'avait été qu'une absence, puisque la même 
femme était retrouvée. 
En regardant Jane, Hugues songeait à la morte, aux baisers, aux 
enlacements de naguère. Il croirait reposséder l'autre, en possédant 
celle-ci. Ce qui paraissait fini à jamais allait recommencer. Et il ne 
tromperait même pas l'Épouse, puisque c'est elle encore qu'il aimerait 
dans cette effigie et qu'il baiserait sur cette bouche telle que la sienne. 
Hugues connut ainsi de funèbres et violentes joies. Sa passion ne lui 
apparut pas sacrilège mais bonne, tant il dédoubla ces deux femmes en 
un seul être--perdu, retrouvé, toujours aimé, dans le présent comme 
dans le passé, ayant des yeux communs, une chevelure indivise, une 
seule chair, un seul corps auquel il demeurait fidèle. 
Chaque fois maintenant que Jane arrivait à Bruges, Hugues la rejoignit, 
soit à la fin de l'après-midi, avant le spectacle; mais surtout après, dans 
les silencieux minuits où, jusque tard, il s'enchantait auprès d'elle: 
malgré l'évidence, son grand deuil intact, les appartements d'hôtel 
toujours l'air étrangers et transitoires, il parvenait peu à peu à se 
persuader que les mauvaises années    
    
		
	
	
	Continue reading on your phone by scaning this QR Code
	 	
	
	
	    Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the 
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.