cela chemin faisant, dans l'homme fait, dans 
le vieillard. 
«Cependant, continue-t-il, le jeu et l'or que je vois rouler me causent 
quelque émotion; je voudrais en gagner pour mille besoins que l'on 
traite de fantaisie...» 
Cet apprenti, déjà si avancé des salons du grand monde, fut enlevé la 
même année à ses dangereuses contemplations, et placé par son père à 
l'université d'Oxford. Il n'y apprit que la langue anglaise. Oxford est 
pour les Anglais le couronnement d'une instruction solide et déjà 
complète. 
Son père rentra en Allemagne et le mit à l'université d'Erlangen. 
En même temps qu'il poursuivait ses études, introduit à la cour de la 
margrave de Baireuth, il continuait de fréquenter le monde. 
M. Benjamin Constant a donné une idée de ces petites cours dans son 
roman d'Adolphe, lorsqu'il parle de ces princes allemands qui 
gouvernent avec douceur un pays de peu d'étendue, protègent les
savants et les artistes, et, par orgueil aristocratique, s'entourent de 
courtisans très-nobles et très-imbéciles. 
«Je fus accueilli dans cette cour, dit Adolphe, avec la curiosité 
qu'inspire naturellement tout étranger qui vient rompre le cercle de la 
monotonie et de l'étiquette.» 
D'Erlangen, il alla achever ses études à Edimbourg, où il se lia avec des 
whigs qui, depuis, ont fait du bruit dans le monde: la fréquentation de 
Graham, de Wilde, d'Erskine, de Makintosh, dut laisser des traces dans 
son esprit. 
Nous le retrouvons ensuite à Paris, en 1787. Il a vingt ans. C'est pour 
lui l'époque critique, l'époque des passions. Ici se nouent presque tous 
les fils de cette existence si uniforme par les événements qui la 
composent, si tourmentée pourtant, comme Benjamin Constant l'a fait 
observer lui-même. 
À Paris, d'après son propre aveu, il mena une vie folle. Il logeait dans la 
maison Suard, où il rencontrait des gens de lettres très-avancés dans la 
carrière et fortement empreints de la philosophie du dix-huitième siècle, 
les Morellet, les Lacretelle, les La Harpe, les Marmontel. 
Les fréquentations de la maison du professeur Stewart, à Oxford; celles 
de la maison Suard, à Paris, lui laissèrent deux empreintes qu'il 
conserva toujours; l'empreinte du whig et celle du voltairien. La cour de 
Brunswick ajoutera une troisième nuance à cette capricieuse 
individualité: le germanisme. 
L'ensemble de ces choses constitua certainement une bonne partie de 
son originalité extérieure. 
Un des compagnons de cette vie folle et ruineuse de toutes les manières, 
était ce Laclos, qu'on rencontre au début de la vie politique des 
principaux acteurs de la comédie de quinze ans. Laclos est mêlé, 
comme par une malice du diable, aux origines de la politique du 
Palais-Royal. Il tient la plume dans les premières escarmouches de la 
monarchie parlementaire qui tend à se faire jour. Il a été le premier
confident et le premier instrument de cette politique qui a amené le 
triomphe de la classe moyenne en France, et qui a prétendu personnifier 
l'ordre, le mérite et la vertu. 
C'est durant ce premier séjour à Paris, que M. Benjamin Constant 
rencontra chez M. Necker une femme-auteur qui occupa assez 
longtemps son imagination, Mme de Charrière. Il ne paraît pas qu'il ait 
alors connu Mme de Staël, absente sans doute à l'époque de ce court 
séjour. 
Mme de Charrière, Hollandaise de naissance, qui a vécu en Suisse, et 
dont la vraie place était à Paris, a écrit de jolies nouvelles. M. 
Sainte-Beuve a publié une partie de sa Correspondance avec Benjamin 
Constant. Cette Correspondance nous montre Mme de Charrière sous 
l'aspect d'une femme du dix-huitième siècle, c'est-à-dire douée de 
beaucoup de liberté d'esprit, d'une intelligence supérieure, bonne 
femme, mais bizarre, paradoxale, et poussant trop loin l'analyse des 
sentiments pour ne pas se heurter à l'épicuréisme et à la mort. 
Les lettres de M. Benjamin Constant, beaucoup plus nombreuses, 
aident singulièrement à la compréhension de cette nature complexe, qui 
échappe si aisément au crayon. 
Le futur tribun de la Restauration s'y montre tel qu'il exista sous la 
pompe du langage, sous les grands mots dont fut bernée la jeunesse de 
nos pères. On l'y voit avec ce mélange d'égoïsme et de sensibilité, qu'il 
a si bien décrit lui-même, ironique et tendre, saturé du mépris des 
hommes, indifférent au vice et à la vertu, mélancolique, paresseux, 
violent, voilant l'aridité du fonds sous l'éclat de la forme, mobile, 
incertain, sans foi religieuse ni philosophique, démocrate par humanité 
peut-être, mais beaucoup aussi par une sorte d'esprit satanique à la 
Byron; blasé, ennuyé, âme marchant avec l'idée constante et 
décourageante de la mort, sans effroi ni appétition de ce qui peut exister 
par de-là le tombeau. 
Mme de Charrière avait connu Benjamin Constant au sortir de l'enfance. 
À dater de leur rencontre à Paris, cette liaison devint plus vive. Mme de 
Charrière avait alors quarante-cinq ans, et Benjamin Constant entrait
dans sa vingtième année. Il était alors fort amoureux d'une demoiselle 
Jenny Pourrat, qui l'éconduisait doucement et    
    
		
	
	
	Continue reading on your phone by scaning this QR Code
 
	 	
	
	
	    Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the 
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.
	    
	    
