Barnabé Rudge, Tome II | Page 4

Charles Dickens
un regard amer à l'autre interlocuteur, elle vous est au contraire si bien acquise, que je suis charmé de vous voir en si bonne compagnie. N'êtes- vous, pas à vous deux, l'essence de votre fameuse Association?
-- Je dois vous dire, reprit sir John de son air le plus doucereux, qu'ici vous faites une méprise. C'est de votre part, pour un homme aussi exact et aussi judicieux, une erreur qui m'étonne. Je n'appartiens pas à l'Association dont vous parlez; je professe un immense respect pour ses membres, mais je n'en fais pas partie, quoique je sois, il est vrai, opposé par conscience à ce qu'on vous rende vos droits. Je regarde cela comme mon devoir, j'en ai beaucoup de regret; mais c'est une nécessité facheuse, et qui me co?te plus que vous ne pensez... Voulez-vous une prise? si vous ne voyez pas d'inconvénient à prendre cette légère infusion d'un parfum innocent, vous en trouverez l'ar?me exquis, j'en suis s?r.
-- Pardon, sir John, dit Haredale en faisant signe qu'il n'en usait pas, pardon de vous avoir mis au rang des humbles instruments qui travaillent au grand jour. J'aurais d? faire plus d'honneur à votre génie. Les hommes de votre capacité se contentent de comploter impunément dans l'ombre et de laisser leurs enfants perdus exposés au premier feu des mécontents.
-- Comment donc! répliqua sir John, toujours avec la même douceur, vous n'avez pas besoin de vous excuser. Ce serait bien le diable si de vieux amis comme vous et moi ne pouvaient pas se passer quelques libertés.?
Gashford, qui avait été tout ce temps-là dans une agitation perpétuelle, mais sans lever les yeux, se tourna enfin vers sir John et se hasarda à lui glisser à l'oreille qu'il était obligé de partir, pour ne pas faire attendre milord.
?Vous n'avez que faire de vous tourmenter, mon bon monsieur, lui dit M. Haredale; je vais vous quitter pour vous mettre plus à l'aise.? Et c'est ce qu'il allait faire sans plus de cérémonie, lorsqu'il fut arrêté par un murmure et un bourdonnement qui partaient du bout de la salle; et, jetant les yeux dans cette direction, il vit arriver lord Georges Gordon, entouré d'une foule de gens.
La figure de ses deux compagnons laissa percer, chacun à sa manière, une expression de triomphe secret, qui donna naturellement à M. Haredale l'envie de ne point se déranger devant ce chef de parti, et de l'attendre de pied ferme sur son passage. Il se redressa donc, et, croisant ses bras derrière son dos, prit une attitude fière et méprisante, pendant que lord Georges s'avan?ait lentement, à travers la foule qui se pressait autour de lui, juste vers l'endroit où les trois interlocuteurs étaient réunis.
Il venait de quitter à l'instant la chambre des Communes, et était venu tout droit à la salle du palais, répandant, selon sa coutume, le long de son chemin, la nouvelle de ce qui avait été dit, le soir même, relativement aux papistes, des pétitions présentées en leur faveur, des personnes qui les avaient appuyées, du jour où l'on passerait le bill, et du moment opportun qu'il faudrait choisir pour présenter à leur tour leur grande pétition protestante. Il débitait tout cela aux personnes qui l'entouraient, en élevant la voix et ne ménageant pas les gestes. Ceux qui se trouvaient le plus près de lui se communiquaient leurs commentaires, et laissaient éclater des menaces et des murmures; ceux qui étaient en arrière de la foule criaient: ?Silence,? ou bien: ?Ne fermez donc pas le passage,? ou se pressaient contre les autres pour tacher de leur prendre leurs places; en un mot, ils avan?aient péniblement, de la fa?on la plus irrégulière et la plus désordonnée, comme fait toujours la foule.
Quand ils furent arrivés près de l'endroit où se tenaient le secrétaire, sir John et M. Haredale, lord Georges se retourna en faisant quelques réflexions incohérentes d'une nature assez violente, finit par le cri banal de ?à bas les papistes!? et demanda aux assistants trois salves de hourras pour appuyer sa motion. Pendant qu'on s'empressait, autour de lui, d'y répondre avec une grande énergie, il se débarrassa de la multitude et s'avan?a auprès de Gashford. Comme ils étaient tous les deux, ainsi que sir John, bien connus de la populace, elle fit un pas en arrière pour les laisser tous quatre ensemble.
?Voici M. Haredale, lord Georges, lui dit sir John Chester, voyant que le noble lord regardait l'inconnu d'un oeil scrutateur, un gentleman catholique malheureusement... je regrette beaucoup qu'il soit catholique... mais c'est une de mes connaissances que j'estime beaucoup, une ancienne connaissance aussi de M. Gashford. Mon cher Haredale, voici lord Georges Gordon.
-- J'aurais reconnu tout de suite Sa Seigneurie, quand je ne l'aurais jamais vue auparavant, dit M. Haredale. J'espère qu'il n'y a pas deux gentilshommes en Angleterre qui, en s'adressant à une populace ignorante et
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