est du 
moral.--Mon traitement consiste a ne plus me tourner la cervelle a 
l'envers, et a mettre un regulateur a ma sensibilite. Tout est equilibre en 
ce monde, au-dedans de nous-meme comme au-dehors. Si la sensibilite 
prend le dessus, c'est toujours aux depens de la raison. Plus vous serez 
poete, moins vous serez geometre, et, dans la vie, il faut un peu de 
geometrie, et, ce qui est pis encore, beaucoup d'arithmetique. Je crois, 
Dieu me pardonne, que je vous ecris la quelque chose qui a presque le 
sens commun! 
Tout a vous, PLUMKETT. 
 
XIX 
Nuit du 27 juillet, Salonique. 
A neuf heures, les uns apres les autres, les officiers du bord rentrent
dans leurs chambres; ils se retirent tous en me souhaitant bonne chance 
et bonne nuit: mon secret est devenu celui de tout le monde. 
Et je regarde avec anxiete le ciel du cote du vieil Olympe, d'ou partent 
trop souvent ces gros nuages cuivres, indices d'orages et de pluie 
torrentielle. 
Ce soir, de ce cote-la, tout est pur, et la montagne mythologique 
decoupe nettement sa cime sur le ciel profond. 
Je descends dans ma cabine, je m'habille et je remonte. 
Alors commence l'attente anxieuse de chaque soir: une heure, deux 
heures se passent, les minutes se trainent et sont longues comme des 
nuits. 
A onze heures, un leger bruit d'avirons sur la mer calme; un point 
lointain s'approche en glissant comme une ombre. C'est la barque de 
Samuel. Les factionnaires le couchent en joue et le helent. Samuel ne 
repond rien, et cependant les fusils s'abaissent;--les factionnaires ont 
une consigne secrete qui concerne lui seul, et le voila le long du bord. 
On lui remet pour moi des filets, et differents ustensiles de peche; les 
apparences sont sauvees ainsi, et je saute dans la barque, qui s'eloigne; 
j'enleve le manteau qui couvrait mon costume turc et la transformation 
est faite. Ma veste doree brille legerement dans l'obscurite, la brise est 
molle et tiede, et Samuel rame sans bruit dans la direction de la terre. 
Une petite barque est la qui stationne.--Elle contient une vieille 
negresse hideuse enveloppee d'un drap bleu, un vieux domestique 
albanais arme jusqu'aux dents, au costume pittoresque; et puis une 
femme, tellement voilee qu'on ne voit plus rien d'elle-meme qu'une 
informe masse blanche. 
Samuel recoit dans sa barque les deux premiers de ces personnages, et 
s'eloigne sans mot dire. Je suis reste seul avec la femme au voile, aussi 
muette et immobile qu'un fantome blanc; j'ai pris les rames, et, en sens 
inverse, nous nous eloignons aussi dans la direction du large. --Les
yeux fixes sur elle, j'attends avec anxiete qu'elle fasse un mouvement 
ou un signe. 
Quand, a son gre, nous sommes assez loin, elle me tend ses bras; c'est 
le signal attendu pour venir m'asseoir aupres d'elle. Je tremble en la 
touchant, ce premier contact me penetre d'une langueur mortelle, son 
voile est impregne des parfums de l'Orient, son contact est ferme et 
froid. 
J'ai aime plus qu'elle une autre jeune femme que, a present, je n'ai plus 
le droit de voir; mais jamais mes sens n'ont connu pareille ivresse. 
 
XX 
La barque d'Aziyade est remplie de tapis soyeux, de coussins et de 
couvertures de Turquie. On y trouve tous les raffinements de la 
nonchalance orientale, et il semblerait voir un lit qui flotte plutot qu'une 
barque. 
C'est une situation singuliere que la notre: il nous est interdit d'echanger 
seulement une parole; tous les dangers se sont donne rendez-vous 
autour de ce lit, qui derive sans direction sur la mer profonde; on dirait 
deux etres qui ne se sont reunis que pour gouter ensemble les charmes 
enivrants de l'impossible. 
Dans trois heures, il faudra partir, quand la Grande Ourse se sera 
renversee dans le ciel immense. Nous suivons chaque nuit son 
mouvement regulier, elle est l'aiguille du cadran qui compte nos heures 
d'ivresse. 
D'ici la, c'est l'oubli complet du monde et de la vie, le meme baiser 
commence le soir qui dure jusqu'au matin, quelque chose de 
comparable a cette soif ardente des pays de sable de l'Afrique qui 
s'excite en buvant de l'eau fraiche et que la satiete n'apaise plus ... 
A une heure, un tapage inattendu dans le silence de cette nuit: des 
harpes et des voix de femmes; on nous crie gare, et a peine avons-nous
le temps de nous garer. Un canot de la Maria Pia passe grand train pres 
de notre barque; il est rempli d'officiers italiens en partie fine, ivres 
pour la plupart;--il avait failli passer sur nous et nous couler. 
 
XXI 
Quand nous rejoignimes la barque de Samuel, la Grande Ourse avait 
depasse son point de plus grande inclinaison, et on entendait dans le 
lointain le chant du coq. 
Samuel dormait, roule dans ma couverture, a l'arriere, au fond de la 
barque; la negresse dormait,    
    
		
	
	
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