tard, ils se réhabilitèrent, jusqu'à un certain point, en allant 
voir la chute Niagara. 
Cette entrée en ménage plaît à Angéline, et cela devrait te faire songer. 
L'imitation servile n'est pas mon fait, mais nous aviserons. Tiens! j'ai 
trouvé. Il y a au fond de ton armoire un in-folio qui, bien sûr, te 
donnerait l'air grave si tu en faisais des extraits le jour de tes noces.
Mon cher Maurice, crois-moi, ne tarde pas. Je tremble toujours que tu 
ne fasses quelque sortie auprès d'Angéline. Et la manière d'agir de M. 
de Montbrun prouve qu'il ne veut pas qu'on dise les doux riens à sa fille, 
ou la divine parole, si tu l'aimes mieux. Tu es le seul qu'il admette dans 
son intimité, et cette marque d'estime t'oblige. D'ailleurs, abuser de sa 
confiance, ce serait plus qu'une faute, ce serait une maladresse. 
Avec toi de coeur. 
Mina. 
 
(Maurice Darville à sa soeur) 
Tu as mille fois raison. Il faut risquer la terrible demande, mais je crois 
qu'il fait exprès pour me décontenancer. 
Ce matin, décidé d'en finir, j'allai l'attendre dans son cabinet de travail, 
où il a l'habitude de se rendre de bonne heure. J'aime cette chambre où 
Angéline a passé tant d'heures de sa vie; et si j'avais la table sur laquelle 
Cicéron a écrit ses plus beaux plaidoyers, je la donnerais pour le petit 
pupitre où elle faisait ses devoirs. 
L'autre soir, je lui demandais si, enfant, elle aimait l'étude.--Pas 
toujours, répondit-elle. Et regardait son père avec cette adorable 
coquetterie qu'elle n'a qu'avec lui.--Mais je le craignais tant! 
Mina, je me demande comment j'arrive à me conduire à peu près 
sensément. Au fond, je n'en sais rien du tout. 
Pour revenir à mon récit, sur le mur, en face de la table de travail de M. 
de Montbrun, il y a un petit portrait de sa femme, et un peu au-dessous, 
suspendue aussi par un ruban noir, une photographie de notre pauvre 
père en capot d'écolier. C'est surtout sa figure fatiguée et malade que je 
me rappelle, et pour moi ce jeune et souriant visage ne lui ressemble 
guère. 
J'étais à le considérer quand M. de Montbrun entra. Nous parlâmes du
passé, de leur temps de collège. Jamais je ne l'avais vu si cordial, si 
affectueux. Je crus le moment bien choisi, et lui dis assez 
maladroitement: 
--Il me semble que vous devez regretter de ne pas avoir de fils. 
Il me regarda. Si tu avais vu la fine malice dans ses beaux yeux. 
--D'où vous vient ce souci, mon cher, répondit-il? et, ensuite, avec un 
grand sérieux: «Est-ce que ma fille ne vous paraît pas tout ce que je 
puis souhaiter?» 
Pour qui aime les railleurs, il était à peindre dans ce moment. Je fis 
appel à mon courage, et j'allais parler bien clairement, quand Angéline 
parut à la fenêtre où nous étions assis. Elle mit l'une de ses belles mains 
sur les yeux de son père, et de l'autre me passa sous le nez une touffe de 
lilas tout humide de rosée. 
--Shocking, dit M. de Montbrun. Vois comme Maurice rougit pour moi 
de tes manières de campagnarde. 
--Mais, dit Angéline, avec le frais rire que tu connais, Monsieur 
Darville rougit peut-être pour son compte. Savez-vous ce qu'éprouve un 
poète qu'on arrose des pleurs de la nuit? 
--Ma fille, reprit-il, on ne doit jamais parler légèrement de ceux qui font 
des vers. 
Rien n'abat un homme ému comme une plaisanterie. Je me sentis éteint 
pour la journée. Mais je la regardais et c'est une jouissance à laquelle 
mes yeux ne savent pas s'habituer. 
Si tu l'avais vue, comme elle était dans la vive lumière! Oui, c'est bien 
la fée de la jeunesse! Oui, elle a tout l'éclat, toute la fraîcheur, tout le 
charme, tout le rayonnement du matin! 
Non, il n'aura pas le coeur de me désespérer! Cette situation n'est plus 
tenable, et puisque je ne sais pas parler, je vais écrire.
M. de Montbrun m'a longuement parlé de toi. Il trouve que tu as trop de 
liberté et pas assez de devoirs. Il m'a demandé combien tu comptais 
d'amoureux par le temps qui court, mais je n'ai pu dire au juste. 
D'après lui, l'atmosphère d'adulation où tu vis ne t'est pas bonne. 
D'après lui encore, tu as l'humeur coquette, et il vaudrait mieux pour toi 
entrer dans le sérieux de la vie. 
Je te répète tout bien exactement. On parle de ma voix en termes 
obligeants, mais je n'oserais jamais en dire autant en une fois. 
Réprimander les jeunes filles est un art difficile. Pour s'en tirer à son 
honneur, il faut avoir la taille de François Ier, et ce charme de manières 
que tu appelles du montbrunage. 
Ma chère Mina, que je suis bien ici! J'aime cette maison isolée et riante 
qui regarde la mer à    
    
		
	
	
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