tout le monde s'en va, il n'avait garde de s'en aller. Il préférait 
aux plus belles sapinières les vernis du Japon et les ormeaux à petites feuilles qu'il 
apercevait de la terrasse de son cercle, où il passait la meilleure partie de ses journées et 
même de ses nuits. Cependant cet égoïste ou ce sage avait toujours pris à coeur les 
intérêts de son neveu, à qui il destinait son héritage, et au surplus il était curieux et ne s'en 
cachait pas. Il ordonna en soupirant à son valet de chambre de préparer ses malles, et le 
soir même il partait pour Vichy. 
Prévenue par une dépêche, Mme de Penneville l'attendait à la gare. Du plus loin qu'elle 
l'aperçut, elle courut à sa rencontre et lui dit: 
«Figurez-vous que cette femme est veuve et qu'il s'est mis en tête de l'épouser! 
--Ah! pauvre mère! s'écria le marquis. Cette fois, j'en conviens, le cas est grave.» 
 
II 
M. de Miraval ne s'était pas trompé dans ses conjectures; les choses s'étaient passées à 
peu près comme il l'avait pensé. Le comte Horace de Penneville avait fait au Caire la 
connaissance d'une belle blonde, et pour la première fois de sa vie son coeur s'était pris. 
On s'était rencontré au New-Hotel; dès les premiers jours, Mme Corneuil s'était mise en 
frais pour attirer sur elle les regards et les pensées du jeune homme. M. Corneuil ayant 
paru se ranimer et pouvant se passer de sa garde-malade, on avait profité de ce mieux 
trompeur pour visiter ensemble le musée de Boulaq, les souterrains du Serapeum, les 
pyramides de Gizeh et de Saqqarah. Horace avait pris au sérieux son métier de cicérone; 
il s'était fait une affaire et un plaisir d'expliquer l'Égypte à Mme Corneuil, et Mme 
Corneuil avait écouté toutes ses explications dans un profond recueillement, avec une 
attention émue, à laquelle se mêlaient par intervalles d'aimables transports. Elle était 
comme saisie et toute palpitante; au fond de ses yeux s'allumait une flamme sombre; elle 
possédait mieux que personne l'art d'écouter avec les yeux. Elle n'avait fait aucune 
difficulté d'admettre que Moïse a vécu sous Rhamsès II; elle avait paru charmée 
d'apprendre que la deuxième dynastie régna trois cent deux ans, que Menès était 
originaire de Thinis, et que la grande pyramide à degrés fut bâtie par Kékéou, le Céchoüs
de Manéthon, par qui fut établi le culte du boeuf Apis, manifestation vivante du dieu Ptah. 
Elle éprouvait un enthousiasme de néophyte en se faisant initier aux sacrés mystères de la 
chronologie égyptienne; elle déclara que c'était la plus belle des sciences et le plus doux 
des passe-temps; elle jura d'apprendre à déchiffrer les hiéroglyphes. 
Ce fut dans une visite au tombeau de Ti, à la clarté rougeâtre des torches, que 
l'événement se décida. Ils examinaient dans une sorte d'extase tous les tableaux gravés 
sur la paroi de chacune des chambres funéraires. Il en est un qui représente un chasseur 
assis dans une barque, au milieu d'un marais où nagent des hippopotames et des 
crocodiles. Comme ils se penchaient sur ces crocodiles, Mme Corneuil, absorbée dans sa 
contemplation, fit un faux mouvement, et sa joue frôla celle du jeune homme; il sentit un 
frémissement qu'il n'avait jamais éprouvé. Elle sortit la première du tombeau; en la 
rejoignant, il fut comme ébloui; il découvrit tout à coup qu'elle avait un port de reine, des 
yeux bruns mêlés de fauve, les plus admirables cheveux du monde, qu'elle était belle 
comme un songe et qu'il l'aimait comme un fou. 
Quelques semaines après, M. Corneuil avait rendu son âme à Dieu, en laissant toute sa 
fortune à sa femme, qui l'avait soigné, il faut le dire, avec une héroïque patience. La 
veille du jour où elle devait s'embarquer pour emmener à Périgueux un cercueil plombé, 
Horace lui demanda la faveur d'un instant d'entretien, et le soir, sur la terrasse du 
New-Hotel, sous le ciel étoilé d'Égypte, dans un air délicieux où flottaient les grandes 
ombres vagues des Pharaons, il lui fit l'aveu de sa passion et tenta de lui arracher la 
promesse qu'avant un an elle serait à lui pour la vie. Ce fut alors qu'il put connaître toute 
la délicatesse de ce coeur d'élite. Elle lui reprocha, les yeux baissés, l'excès de son amour, 
lui représenta que le mort n'était pas encore enterré, qu'il lui répugnait de marier les roses 
aux cyprès et les pensées amoureuses aux longs voiles de crêpe. Mais elle lui permit 
d'écrire et s'engagea elle-même à lui donner réponse dans six mois; en le quittant, elle 
avait aux lèvres un demi-sourire infiniment pudique, mais fort encourageant. Il avait 
remonté le Nil; il avait gagné la Haute-Égypte, heureux de passer ses mois d'attente dans 
la solitude d'une Thébaïde, où les journées ont plus de vingt-quatre heures; on n'en a 
jamais trop pour déchiffrer des    
    
		
	
	
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