mais elle est virile, et je ne 
veux rien dissimuler. Non, je n'oublie pas que je parle aux hommes de 
Paris. La responsabilité est en proportion de l'auditoire. Une seule 
chose est à la taille du peuple, c'est la vérité. Et dire la réalité, c'est le 
devoir. 
Eh bien, la réalité, c'est que nous traversons une heure redoutable. La 
réalité, c'est que, si la nuit complète se faisait, il y aurait des possibilités 
de naufrage. Les crises succèdent aux catastrophes. J'espère cependant. 
Je fais plus qu'espérer. J'affirme. Pourquoi? Je vais vous le dire, et ce 
sera mon dernier mot. 
La marche du genre humain vers l'avenir a toutes les complications 
d'un voyage de découvertes. Le progrès est une navigation; souvent 
nocturne. On pourrait dire que l'humanité est en pleine mer. Elle avance 
lentement, dans un roulis terrible, immense navire battu des vents. Il y
a des instants sinistres. A de certains moments, la noirceur de l'horizon 
est profonde; il semble qu'on aille au hasard. Où? à l'abîme. On 
rencontre un écueil, l'empire; on se heurte à un bas-fond, le Syllabus; 
on traverse un cyclone, Sedan (mouvement); l'année de l'infaillibilité du 
pape est l'année de la chute de la France; les ouragans et les tonnerres 
se mêlent; on a au-dessus de sa tête tout le passé en nuage et chargé de 
foudres; cet éclair, c'est le glaive; cet autre éclair, c'est le sceptre; ce 
grondement, c'est la guerre. Que va-t-on devenir? Va-t-on finir par 
s'entre-dévorer? En viendra-t-on à un radeau de la Méduse, à une lutte 
d'affamés et de naufragés, à la bataille dans la tempête? Est-ce qu'il est 
possible qu'on soit perdu? On lève les yeux. On cherche dans le ciel 
une indication, une espérance, un conseil. L'anxiété est au comble. Où 
est le salut? Tout à coup, la brume s'écarte, une lueur apparaît; il 
semble qu'une déchirure se fasse dans le noir complot des nuées, une 
trouée blanchit toute cette ombre, et, subitement, à l'horizon, au-dessus 
des gouffres, au delà des nuages, le genre humain frissonnant aperçoit 
cette haute clarté allumée il y a quatre vingts ans par des géants sur la 
cime du dix-huitième siècle, ce majestueux phare à feux tournants qui 
présente alternativement aux nations désemparées chacun des trois 
rayons dont se compose la civilisation future: Liberté, Égalité, 
Fraternité. (Applaudissements prolongés.) 
Liberté, cela s'adresse au peuple; Égalité, cela s'adresse aux hommes; 
Fraternité, cela s'adresse aux âmes. 
Navigateurs en détresse, abordez à ce grand rivage, la République. 
Le port est là. (Longue acclamation. Cris de: Vive la république! Vive 
l'amnistie! Vive Victor Hugo!) 
 
II 
LE SEIZE MAI 
I 
LA PROROGATION
Le 16 mai 1877, un essai préliminaire de coup d'état fut tenté par M. le 
maréchal de Mac-Mahon, président de la République. Brusquement il 
congédia, sur les plus futiles prétextes, le ministère républicain de M. 
Jules Simon, qui réunissait dans la chambre une majorité de deux cents 
voix. Le nouveau cabinet, sous la présidence de M. de Broglie, ne fut 
composé que de monarchistes. 
Deux jours après, un décret du président de la République prorogeait le 
parlement pour un mois. 
Aussitôt les gauches des deux chambres tinrent chacune leur réunion 
plénière et rédigèrent des déclarations collectives adressées au pays. 
Dans la réunion des gauches du Sénat, Victor Hugo prit la parole: 
Dans quelles circonstances l'événement qui nous préoccupe se 
produit-il? 
Laissez-moi vous le dire. Deux choses me frappent. 
Voici la première: 
La France était en pleine paix, en pleine convalescence de ses derniers 
malheurs, en pleine possession d'elle-même; la France donnait au 
monde tous les grands exemples, l'exemple du travail, de l'industrie, du 
progrès sous toutes les formes; elle était superbe de tranquillité et 
d'activité; elle se préparait à convier tous les peuples chez elle; elle 
prenait l'initiative de l'Exposition universelle, et, meurtrie, mutilée, 
mais toujours grande, elle allait donner une fête à la civilisation. En ce 
moment-là, dans ce calme fécond et auguste, quelqu'un la trouble. Qui? 
Son gouvernement. Une sorte de déclaration de guerre est faite. A qui? 
A la France en paix. Par qui? Par le pouvoir. (Oui! oui!--Adhésion 
unanime.) 
La seconde chose qui me frappe, la voici: 
Si la France est en paix, l'Europe ne l'est pas. Si au dedans nous 
sommes tranquilles, au dehors nous sommes inquiets. Le continent
prend feu. Deux empires se heurtent en orient; au nord, un autre empire 
guette; à côté du nord, une puissante nation voisine fait son branle-bas 
de combat. Plus que jamais, il importe que la France, pour rester forte, 
reste paisible. Eh bien! c'est le moment qu'on choisit pour l'agiter! C'est 
pour le pays l'heure de la prudence; c'est pour le gouvernement l'heure 
des imprudences. 
Ces deux grands faits, la paix en France, la guerre en Europe, 
exigeaient tous les deux un gouvernement sage. C'est l'instant que 
prend le gouvernement pour devenir un gouvernement d'aventure. 
Une étincelle    
    
		
	
	
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